Fabrice Vert, premier vice-président, tribunal judiciaire de Paris
Photo de couverture : Fabrice Vert
BLR n°37 -01/03/2024

Pour la BLR, Virginie JUBAULT a posé ses questions à Fabrice VERT. Rencontre avec un homme inspirant, passionné tant par le droit que l’humain, à l’écoute des acteurs judiciaires, de leurs partenaires et des justiciables.
Biographie
Fabrice Vert est juge civiliste et commercialiste depuis plus de 30 ans. Il est premier vice-président au tribunal judiciaire de Paris, vice-président de GEMME France (GROUPE EUROPEEN DES MAGISTRATS POUR LA MEDIATION) et membre du syndicat UNITE MAGISTRATS.
Il est reconnu pour son engagement en faveur de la médiation et des modes alternatifs de résolution des conflits dans le système judiciaire français et a récemment été nommé ambassadeur de l’amiable par le garde des Sceaux.
En quoi consiste votre travail ?
Je tranche les litiges en appliquant la règle de droit. J’aime le droit, le syllogisme juridique. J’envisage ma fonction comme le garant de la paix sociale. Le rôle du juge est d’être dans la cité, ouvert sur la cité et non pas enfermé dans un bunker. De ce fait, je suis très sensible aux conséquences de mes décisions, notamment sur l’environnement économique et social. J’aime l’aspect humain qui mène à la médiation ou à la conciliation. C’est pourquoi j’ai beaucoup développé l’office conciliatoire du juge. Je suis très attaché au fait de remettre le justiciable au cœur du procès. Le juge doit être proche du citoyen pour le comprendre. Il n’est pas suffisamment entendu et écouté en raison d’un monceau d’affaires nouvelles chaque année et d’une procédure de plus en plus complexe.
Contrairement à l’application stricte du droit, la médiation ou la conciliation offrent la possibilité de traiter l’entièreté du conflit dans ses dimensions les plus diverses tels que les aspects économiques, relationnels. Ces modes alternatifs de règlement des différends traitent les aspects immergés du conflit que le procès traditionnel laisse souvent de côté. « C’est un moment d’humanité dans des procédures parfois kafkaïennes » disait Pierre Drai. Je prône une justice humaine, par ceux qui la rendent et pour ceux qui la demandent.
Quelles responsabilités ? Quels enjeux d’avenir ?
Le rôle du juge est de plus en plus important. Plusieurs facteurs y contribuent dont notamment le droit européen avec un dialogue croissant entre juges nationaux, consulaires, européens, le contrôle de proportionnalité, une justice amiable qui se développe. Le monde du juge est aussi de plus en plus technique. Les nouveaux sujets s’accélèrent notamment avec le devoir de vigilance, la plateforme numérique, l’intelligence artificielle. Avec des moyens limités, les juges doivent se spécialiser et se former à ces nouveaux enjeux. Pourtant, il existe des pistes qui permettraient de mieux répondre aux besoins des concitoyens : recruter des magistrats et fonctionnaires pour rejoindre la moyenne des standards européens ; simplifier la procédure et réfléchir sur l’inflation législative complexifiant le droit ; moderniser l’outil informatique ; étoffer l’équipe du juge (un souhait du ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti) et lui donner les moyens adaptés ; favoriser le développement des relations entre magistrats, avocats et auxiliaires de justice.
Le bon fonctionnement de la justice civile, pilier de la démocratie, contribue à la paix sociale. L’amiable offre une alternative à l’explosion des dossiers en attente d’être jugés et constitue surtout un enrichissement de la réponse judiciaire. Cependant, l’amiable ne s’improvise pas et nécessite d’être formé. La médiation et la conciliation sont adaptées à tous types de litiges, y compris à ceux dont les enjeux économiques sont importants et/ou multi juridictionnels. Je dirais même que plus l’affaire est compliquée et plus les juridictions impliquées sont nombreuses, plus la médiation est adaptée.
L’amiable est aussi très rentable en comparaison des coûts d’un procès et offre de nombreux bénéfices économiques directs et indirects. La médiation permet de sortir du paradigme « qui a raison, qui a tort » pour répondre aux besoins et intérêts de chaque partie. L’amiable permet souvent de résoudre le vrai problème, là où le droit peut statuer en partie ou à côté du vrai conflit, qui subsiste. La question que l’on doit aussi se poser dans le cadre d’un procès pour savoir si l’amiable est une piste à envisager est « est ce que je peux prendre le risque de perdre le procès et avec quelles conséquences pour moi » ?
Les qualités essentielles d’un magistrat ?
L’écoute, l’attention aux autres, le respect de la contradiction, l’altérité, la rigueur, la droiture. Le juge doit savoir dialoguer et remettre l’humain au centre du procès. L’effondrement du rôle d’intercesseur social et de nombreux corps intermédiaires conduisent de plus en plus nos concitoyens à saisir le juge pour des litiges dont l’aspect juridique est secondaire. Le juge doit donc renouer avec son rôle conciliatoire.
Votre plus grande réussite ?
Je pensais que je prendrais ma retraite sans que l’amiable ne soit reconnu et valorisé. Modestement, j’ai participé à sa mise en œuvre effective. J’ai activement milité au GEMME (groupement européen des magistrats pour la médiation), association d’intérêt général qui regroupe des magistrats intéressés par la pratique du recours aux modes alternatifs de règlement des conflits pour une justice effective et pacificatrice impliquant, notamment, une promotion et un développement de ces modes alternatifs et plus particulièrement de la médiation judiciaire. La médiation reposait précédemment sur des individualités. Nous avons désormais un Conseil National de la Médiation, une politique nationale de l’amiable.
Votre plus grosse galère ?
J’ai fait face à beaucoup d’hostilités lorsque j’ai initié mespremières expériences de médiation. Cela m’a causé quelques ennuis au cours de ma carrière et je remercie tous ceux (avocats, juges, médiateurs, conciliateurs, professeurs de droit) qui m’ont soutenu dans ces moments difficiles.
L’erreur que vous referiez ?
Joker !
Qu’est-ce que vous aimeriez faire différemment dans votre vie quotidienne ?
J’aimerais avoir plus de contacts avec l’ensemble des acteurs judiciaires, être notamment plus en relation avec les avocats et partager des formations communes.
J’ai beaucoup aimé l’époque de la buvette du Palais au palais de la Cité (et regretté comme beaucoup sa disparition) où des liens informels se formaient avec les autres acteurs judiciaires.
Quel autre métier auriez-vous fait ?
J’aurais aimé être ambassadeur. Ce rêve d’enfance a été comblé par le garde des Sceaux qui m’a nommé Ambassadeur de l’Amiable. J’aime beaucoup l’histoire aussi. Prof d’histoire !
L’appréciation professionnelle qui vous a marquée ?
Une avocate qui m’a dit être devenue médiateur à la suite d’une médiation que j’avais proposée alors qu’elle n’était pas du tout convaincue de l’intérêt des modes amiables. Un assistant de justice qui m’a dit être devenu juge en suivant mes conseils.
Quels sont vos référents ?
Le juge Van Ruymbeke, la professeure de droit Nathalie Fricero, Eva Joly, le premier président Jean-Claude Magendie, le président Stéphane Noël, Béatrice Brenneur, magistrate pionnière de la médiation, le bâtonnier Teitgen.
Mon mentor, le premier président Pierre Drai.
Madame Degay, une gérante de tutelle bénévole, décédée depuis longtemps que j’avais rencontrée au tribunal d’instance de La Chatre. J’étais admiratif de sa façon de se battre pour qu’une vieille dame sous tutelle, sans famille, finisse ses jours chez elle sans quitter son environnement ou de se démener pour qu’une fratrie de mineurs ne soit pas séparée.
Un conciliateur de justice aussi, Georges Blanda, dans le 18ème.
J’ai peur d’en oublier beaucoup, magistrats, greffiers, avocats, partenaires de justice qui m’ont marqué par leur humanité et leur compétence.
Le livre que vous auriez aimé écrire ? Le livre que vous lisez actuellement ?
J’aurais aimé écrire « Illusions perdues » ou « Splendeurs et misères des courtisanes » d’Honoré de Balzac.
Cette comédie humaine, où d’ailleurs la justice a une grande place est toujours d’actualité par certains aspects !
Je lis actuellement « Jeanne du Barry » d’Emmanuel de Waresquiel. Un destin passionnant.
Votre film préféré ?
Le Mépris de Jean-Luc Godard avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli. Capri, Cinecittà…
La pire injure ?
On ne nous injurie pas trop ! Mais je vous l’ai déjà confié, j’ai parfois été injurié ou critiqué vertement en raison de mon investissement dans la promotion des modes amiables.
J’ai eu droit à : « Punk à chiens qui a fait option psycho en fac de droit ».
Mais lorsqu’on initie de nouvelles pratiques, c’est souvent le cas.