La juste distance : Emmanuel Marsigny et l’art de la défense pénale
BLR n° 48 – 20/03/2025
Photo de couverture : Emmanuel Marsigny.

Propos recueillis par Virginie JUBAULT pour la BLR
De la Picardie aux plus grandes affaires judiciaires françaises, Emmanuel Marsigny a tracé sa route avec détermination. Né en 1971 à Compiègne, ce fils d’horticulteur et petit-fils d’un maire de longue date choisit de s’éloigner des traditions familiales pour se diriger vers le droit, après un baccalauréat scientifique. À la Sorbonne, il accumule les diplômes. À seulement 24 ans, le voilà déjà avocat, prêt à se spécialiser en droit pénal.
Fort de plus de 30 ans d’expérience, Emmanuel Marsigny s’est imposé comme une référence de la défense pénale en France. Son parcours professionnel démarre comme stagiaire non rémunéré chez Olivier Metzner en 1994 – le seul avocat parmi tous ceux contactés à lui avoir répondu. Innovateur dans l’âme, il modernise les pratiques en important les techniques numériques américaines pour gérer l’immense dossier ELF, bien avant que cela ne devienne la norme. Persévérant, il évolue jusqu’à devenir l’associé de son mentor en 1998. À la disparition de celui-ci en 2013, il fonde son propre cabinet devenue Marsigny Gosset Avocats en 2019.
Sa carrière est marquée par des affaires emblématiques : l’Angolagate, le crash du Concorde, les biens mal acquis, le drame de Furiani, l’affaire ELF, les emplois fictifs parisiens, la catastrophe de Brétigny-sur-Orge, l’affaire Balkany, la crise du Covid ou encore la disparition du président d’Interpol.
En janvier 2025, Emmanuel Marsigny a rejoint le cabinet Skadden Arps en qualité d’associé pour y développer une pratique spécialisée en criminalité en col blanc.
Entre confidences professionnelles et personnelles, ce défenseur qui navigue avec aisance entre clients particuliers et grandes entreprises a accepté de quitter quelques instants ses dossiers et les salles d’audience pour partager son parcours avec nous.
En quoi consiste votre travail ?
Je ne considère pas qu’être avocat pénaliste soit un travail. Ce ne peut être qu’une vocation. J’ai la chance d’avoir pu transformer une vocation en activité professionnelle.
Robert Badinter, que j’ai eu comme professeur, nous avait dit un jour après avoir été interrogé sur ce qui pouvait caractériser un avocat pénaliste : « Imaginez que vous êtes dans une ville que vous ne connaissez pas et que vous voyez une foule courir derrière un homme : soit vous passez votre chemin, soit vous courez avec la foule en partant du principe qu’elle a nécessairement raison, soit votre réaction est d’essayer de vous mettre entre cette foule et cet homme car quoi qu’il ait pu faire, le combat est inégal et injuste. »

Je ne considère pas qu’être avocat pénaliste soit un travail. Ce ne peut être qu’une vocation. J’ai la chance d’avoir pu transformer une vocation en activité professionnelle.
Depuis 30 ans, j’ai toujours la même réaction et tous les jours encore plus.
Quelles responsabilités ? Quels enjeux d’avenir ?
La responsabilité de l’avocat pénaliste est avant tout de réussir à faire en sorte que toute personne accusée ait le sentiment que tout ce qui devait être fait a été fait.

Malheureusement, je fais le constat que le rapport de force l’emporte de plus en plus souvent sur la force de la loi. L’actualité démontre que nos sociétés sont poussées à s’écarter des règles juridiques pour se réguler
Nous pensions que la loi serait pour toujours le régulateur protecteur de nos sociétés et, qui plus est, pour tous les sujets. L’avocat devait ainsi intervenir sur un très grand nombre de problématiques. Malheureusement, je fais le constat que le rapport de force l’emporte de plus en plus souvent sur la force de la loi. L’actualité démontre que nos sociétés sont poussées à s’écarter des règles juridiques pour se réguler. La place des gens de robe et leur utilité risquent de se poser, sans parler bien sûr de la justice prédictive et de l’intelligence artificielle. Dans le même temps, le désir de toujours plus de répression et de sanctions nécessite une présence forte de l’avocat. Quels seront ses pouvoirs ? Ses réelles marges de manœuvre ? Sa capacité à défendre efficacement ? Il faut que le barreau pénal, composé d’excellents confrères, arrive à se professionnaliser et à s’unir encore et davantage pour être encore plus fort et constituer un véritable contre-pouvoir.
Quelles sont les qualités essentielles d’un pénaliste ?
Evidemment la force de travail, la rigueur et l’exigence mais aussi le courage et la maitrise de l’art oratoire, car la procédure pénale est orale, et enfin la capacité, ce qui est loin d’être évident, de se situer à la bonne distance de son dossier, de son client, du juge et de ses propres préjugés.
Quels sont les profils de clients avec lesquels vous appréciez travailler ?
J’apprécie les clients qui nous poussent dans nos retranchements et continuent ainsi à nous faire progresser à travers leur exigence, leur rigueur et la remise en cause de ce que nous avons tous tendance à considérer comme immuable. L’imagination au service de la défense. Rien n’est a priori impossible !

J’apprécie les clients qui nous poussent dans nos retranchements et continuent ainsi à nous faire progresser à travers leur exigence, leur rigueur et la remise en cause de ce que nous avons tous tendance à considérer comme immuable.
Votre meilleur conseiller ?
Le temps.
Votre plus grande réussite ?
D’être marié depuis 25 ans et d’avoir créée une famille avec cinq enfants avec les contraintes et les exigences d’être avocat pénaliste.
Votre plus grosse galère ?
Tout jeune avocat, je défendais la partie civile dans un procès médiatisé pour le compte de mon patron Olivier Metzner. La défense avait fait citer comme témoin le frère de la partie civile. Il n’était pas dans la salle et le tribunal avait décidé de décerner un mandat d’amener. J’avais compris qu’une décision venait d’être prise, mais je ne l’avais pas bien entendue et n’avais pas osé la faire répéter. Je suis allé déjeuner avec mes confrères, dans le bistrot d’en face, assez détendu. De retour au tribunal, j’ai vu arriver ce témoin conduit entre deux gendarmes, suivi d’Olivier qui avait été mis au courant par la partie civile, à l’évidence très mécontente de ne pas avoir été prévenue immédiatement. J’ai cru mourir de honte. J’en ai retenu une bonne leçon : toujours faire répéter des propos mal entendus ou plus généralement mal compris !
L’erreur que vous referiez ?
Croire que le doute est suffisant pour faire acquitter ou relaxer quelqu’un.
Quel autre métier auriez-vous choisi ?
Laissez-moi réfléchir. Sans hésiter avocat pénaliste !
L’appréciation professionnelle qui vous a marquée ?
« Je vous hais » venant d’une partie civile à la suite d’un acquittement.
Vos sources d’inspiration ?
Olivier Metzner qui m’a appris à être avocat.
Jean-Yves Liénard, un des plus grands plaideurs, pour son humanité et pour ce qu’il était.
Yves Sicard, que j’ai connu à 19 ans, pour sa rigueur, son intelligence, son immense culture, ses opinions très décalées et surtout sa capacité à ne jamais être dans le jugement.
Mes grands-parents.
Le livre que vous auriez aimé écrire ?
« Le guide culinaire d’Escoffier » ! J’adore la gastronomie et la cuisine et j’aurais aimé écrire cette bible de tous les passionnés qui sert à tant de gens qui cuisinent pour ceux qu’ils aiment.
Le livre que vous lisez actuellement ?
« Le Voyant » de Jérôme Garcin. L’histoire vraie de Jacques Lusseyran, aveugle à huit ans, résistant à dix-sept, membre du mouvement Défense de la France, arrêté en 1943 par la Gestapo, incarcéré à Fresnes, déporté à Buchenwald, fut libéré un an et demi après. Sa cécité lui a donné cette chance de n’avoir comme amis que des gens qui s’intéressaient à lui pour les bonnes raisons.
Votre film préféré ?
« Le Bon, la Brute et le Truand » sur le podium avec « Il était une fois en Amérique »
La question que vous auriez aimé que l’on vous pose ?
Es-tu innocent ?

Contacter un des auteurs ou l’une des personnalités, les Business & Legal Forums, premier think tank participatif de l’entreprise & du droit vous met en relation ou devenez AMI, Active Member to inspire du think tank.