« Les adversaires d’aujourd’hui peuvent être les partenaires de demain. Les stratégies court-termistes sont une source d’appauvrissement personnel et professionnel. »

Au-delà des règles de droit, vous dites que l’avocat doit avoir le sens du business et de la stratégie. Pouvez-vous nous illustrer votre propos ?

Tout avocat est censé pratiquer avec rigueur. C’est une valeur fondamentale et fondatrice du bon avocat. Mais un avocat rigoureux a peu de chance de marquer son marché s’il n’a pas le sens des affaires, ni celui de la stratégie. Le sens des affaires s’applique surtout à la façon dont l’avocat appréhende l’activité de son client. Il doit être capable en peu de temps d’absorber un écosystème parfois complexe de l’entreprise cliente et le restituer à ses adversaires et au juge avec conviction et pertinence. Ce qui suppose une capacité d’écoute et d’appréhension des systèmes plus ou moins équilibrés du monde des affaires. Je m’attache à toujours à différencier l’écosystème interne à l’entreprise, et notamment l’interaction entre les différents métiers de celui applicable au marché sur lequel agit cet acteur, ce qui suppose de comprendre les cultures en présence mais aussi le poids économique de chacun.

L’avocat est en prise directe avec la décision. On attend de lui qu’il puisse élaborer une stratégie gagnante. J’exerce en droit des assurances et réassurance, le succès de cette typologie de dossiers est toujours le fruit d’un travail d’équipe entre l’assuré, l’assureur, l’expert technique et l’avocat. Toutefois l’avocat doit se livrer à un travail solitaire d’élimination du champ des possibles dans la stratégie qu’il est amené à définir. J’ai vu certains avocats échouer dans l’exercice. Impeccable dans l’analyse de la règle de droit, moins à l’aise dans la capacité d’en tirer une solution pragmatique et efficace, conforme aux intérêts du client.

Dans mon travail au quotidien, je m’astreins à déterminer un chemin « magique ». Les informations fusent et la petite musique du dossier se met en place. Cela implique de faire la part entre le « bruit » parasite du dossier (l’email désastreux du client, la posture de l’adversaire, le temps aléatoire du judiciaire), qui paralyse le raisonnement, et la symphonie qui se met en place. Tout cela passe encore une fois par l’écoute des besoins du client, des forces et faiblesses du dossier. Bref un travail solitaire de décision qui se mêle ensuite à l’analyse, essentielle, des autres partenaires.  La nouvelle donne à l’heure actuelle pour l’avocat est celle d’intégrer le risque réputationnel médiatique comme critère pondérateur de toute stratégie.

Vous insistez beaucoup sur le fait que tout le monde doit sortir gagnant. Pouvez-vous détailler cette méthode du « win win » ?

Plus le temps passe, plus je suis convaincue qu’aucun adversaire ne mérite de perdre la face. Si notre métier ressemble souvent à une guerre de tranchée, et que nous menons des opérations commandos, il s’agit d’une guerre qui présente précisément la vertu d’être officielle. Les arguments s’échangent, parfois rudes mais la solution n’est jamais de faire rendre gorge à son adversaire. Tout d’abord, parce que les adversaires d’aujourd’hui peuvent être les partenaires de demain et que le cycle des affaires précisément ne peut s’envisager autrement. Il est inutile d’être agressif ou polémique, cela risque même de desservir le dossier. Un accord négocié de façon équilibré, des échanges cordiaux avec ses confrères aident aussi à la mise en place de solutions pérennes et sereines. En somme, ne pas privilégier les stratégies court-termistes qui sont, en réalité, une source d’appauvrissement personnel et professionnel.

En vous observant interagir avec vos équipes, je ressens une grande envie de votre part d’aider les jeunes qui vous entourent à se dépasser. Quelles sont vos recettes pour les motiver ?

Pendant longtemps, j’ai été concentrée sur ma propre carrière. Depuis quelques années, d’autres envies se sont faites jour. L’envie d’une transmission. J’ai cofondé le bureau de Signature Litigation à Paris et, à ce titre, j’ai pris la tête du département Assurance & Réassurance avec une équipe. Outre la fierté d’avoir réussi à constituer une base solide de clientèle, je serais heureuse de contribuer à créer la prochaine génération d’associés de Signature à Paris et ainsi passer le flambeau à des avocats talentueux et passionnés. Mon rôle est à la fois de les écouter et de les guider en toute humilité.

On est vraiment plus intelligent à plusieurs. Nos discussions internes sont riches et j’admets n’avoir pas la science infuse. L’équipe m’apporte autant que je leur apporte. L’équipe le sait et s’attèle à faire preuve de rigueur mais aussi de créativité. Forts de ce prisme, ils gagnent en confiance et en autonomie. Ils font preuve d’une audace maitrisée. Cela me bluffe !

Quel est votre vision de l’apprentissage du métier d’avocat, à l’heure de l’IA?

Mon équipe va rire en voyant que je dois répondre à ce type de question ! J’ai pu lire que certains correcteurs d’universités avaient été impressionnés par la qualité intellectuelle et de raisonnement de copies rendues par des IA. Je suppose que nous serons amenés à disposer de tels outils dans nos cabinets à brève échéance. Mais nous aurons toujours besoin d’ultra spécialistes dans des domaines de niche et de l’instinct propre aux humains. Il sera certes toujours loisible de recourir à un raisonnement via un logiciel mais l’instinct reste unique. L’apprentissage sera donc peut-être facilité par l’IA mais il appartiendra à tout jeune avocat de maintenir sa curiosité en éveil et de développer sa créativité.