Les défis de la lutte anti-corruption à l’international – Les brèves du GACS 2024

BLR n°41 – 11/07/2024


Les entreprises d’aujourd’hui sont bien conscientes des risques juridiques transnationaux auxquels elles s’exposent. Cependant, appréhender tous les enjeux liés à la prévention de la corruption dans un environnement mondial reste un défi de taille.

Comment ces acteurs économiques parviennent-ils à identifier et gérer les multiples risques en la matière ? Une question cruciale quand on sait la complexité d’opérer dans de nombreux pays aux législations et cultures différentes. Dans ce contexte, les autorités administratives et judiciaires ont aussi un rôle clé à jouer. L’entraide judiciaire et le respect des lois de blocage sont autant de leviers permettant d’accompagner les entreprises dans leur devoir de conformité.

Une coopération renforcée entre juridictions apparaît ainsi indispensable pour lutter efficacement contre ce fléau mondial.

Nos intervenants nous éclairent sur la façon dont les entreprises gèrent les risques de corruption à l’échelle internationale et comment les autorités peuvent-elles les soutenir

Renaud JAUNE, avocat, senior counsel – BAKER McKENZIE

Prévenir et détecter

Que ce soit dans le cadre de leurs activités courantes ou lors d’acquisitions, les entreprises redoutent la commission de faits de corruption par leurs employés ou représentants. Mais elles craignent aussi de découvrir de tels agissements après coup. Dans ce cas, elles s’interrogent sur leur responsabilité et sur l’obligation éventuelle de signaler ces découvertes, et si oui à quelle autorité.

Coopérer pour mieux lutter

Au cours de la dernière édition du GACS, une plénière a permis un échange approfondi sur la gestion des risques de corruption et la coopération entre les différentes instances concernées. De la prévention à la mise en œuvre de la loi de blocage, du recours à l’appui de l’Agence française anticorruption (AFA) jusqu’à l’intervention du Parquet national financier (PNF), cette table ronde a dépassé la présentation habituelle trop souvent centrée sur l’extraterritorialité des lois.

L’objectif était de se concentrer sur les réponses concrètes à déployer face à cette problématique cruciale, et sur la répartition des rôles attendue entre les autorités et avec les entreprises

Jean-François BOHNERT, procureur de la République financier – PARQUET NATIONAL FINANCIER (PNF)

Les entreprises ont largement investi depuis 2016 dans la mise en place de programmes de conformité visant à renforcer leur clairvoyance ainsi qu’une prévention active du risque de corruption. Le défi est de taille pour les organisations qui sont engagées dans des géographies ou des secteurs à haut risque.

En tant qu’autorité répressive, le PNF assure un rôle de pédagogie :  montrer qu’il n’y a aucun bénéfice à attendre de la corruption, que les coûts associés à ce fléau sont largement supérieurs aux gains espérés. La convention judiciaire d’intérêt public s’inscrit dans cette logique, en préservant la possibilité de placer les individus face à leur responsabilité pénale.

Nous soutenons également les entreprises en coordonnant la relation avec les autorités judiciaires étrangères : être à même de bloquer l’entraide pénale internationale quand un risque d’espionnage économique est identifié, conditionner l’exécution des demandes d’entraide à un engagement de l’autorité étrangère à ne pas poursuivre sur les mêmes faits.

Le PNF participe ainsi de la souveraineté judiciaire économique française et contribue à l’harmonisation des normes et pratiques anti-corruption dans le monde.

Enfin, parce que la détection précoce et la résolution des manquements à la probité depuis la France permettent de limiter la durée et l’impact des infractions commises, nous encourageons fortement l’autorévélation des entreprises et la qualité des démarches d’enquête interne. Nous observons depuis un an que les entreprises commencent à accuser réception de ce message.

Karl HENNESSEE, senior vice-president, head of litigation, investigations & regulatory affairs – AIRBUS

Les entreprises gèrent les risques de corruption en mettant en place des programmes de conformité robustes et en adoptant des pratiques d’intégrité rigoureuses. Elles commencent par réaliser des évaluations de risque pour identifier les zones géographiques et les secteurs d’activité les plus vulnérables. Ensuite, elles développent des politiques anti-corruption claires et des codes de conduite que tous les employés et partenaires doivent respecter.  Les règles de conformité et les approches d’enquête doivent toujours tirer les leçons des expériences passées.

La formation régulière des employés sur les lois anti-corruption, comme le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) et la Loi Sapin II, est cruciale pour sensibiliser et prévenir les comportements illicites.

De plus, les entreprises instaurent des systèmes de signalement anonymes pour encourager la dénonciation d’actes suspects.

Les autorités peuvent soutenir ces efforts en renforçant les cadres législatifs et en harmonisant les lois anti-corruption à l’échelle internationale pour éviter les disparités. Elles peuvent également offrir des programmes de formation et de certification pour aider les entreprises à se conformer aux réglementations.   Le rôle des juristes d’entreprise est essentiel. Ils sont l’élément du système le plus proche de l’entreprise et sont capables d’intervenir d’une manière la plus précise et la plus rapide. Il est essentiel qu’ils aient à la fois de la confiance de leurs clients et des autorités (y compris la protection du secret professionnel de l’avocat) pour remplir pleinement ce rôle.

Isabelle JEGOUZO, directrice – AGENCE FRANCAISE ANTICORRUPTION (AFA)

Les entreprises actives au niveau international peuvent être plus fortement exposées à des risques de corruption. S’ils se matérialisent, ces risques peuvent avoir des conséquences très dommageables, qu’elles soient pénales, financières ou réputationnelles.  Ces conséquences peuvent être d’autant plus lourdes que certaines juridictions étrangères disposent d’une compétence extraterritoriale leur permettant de poursuivre les entreprises, quel que soit le lieu de commission de l’infraction.

Afin de prévenir ces risques, l’Agence Française Anticorruption (AFA) incite toutes les entreprises concernées, qu’elles soient ou non assujetties à l’article 17 de la loi Sapin II, à mettre en place des mesures de prévention et de détection des atteintes à la probité.

Pour les accompagner, l’AFA met à leur disposition de nombreux guides et fiches pratiques. Elle a, par ailleurs, réalisé une présentation des référentiels étrangers promouvant l’intégrité dans la vie des affaires afin de leur permettre de mieux articuler les différentes obligations nationales auxquelles elles sont assujetties.

Si des faits sont avérés, particulièrement en ce qui concerne la corruption d’agents publics étrangers, il est conseillé aux entreprises de se rapprocher du Parquet national financier (PNF) qui pourra le cas échéant décider de la signature d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). L’AFA joue un rôle important dans cette procédure en ce qu’elle peut être amenée à contrôler l’obligation de programme de mise en conformité imposée à l’entreprise suite à un accord avec le PNF.

Faire des affaires suppose aussi de savoir dire non !

Joffrey CELESTIN-URBAIN, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économique – DIRECTION GENERALE DES ENTREPRISES

Les entreprises françaises présentes à l’international ont bien assimilé ces dernières années la fonction de compliance, en l’intégrant le plus souvent à leur direction juridique.

La veille réglementaire et la prévention jouent un rôle capital pour se prémunir de risques d’ordre à la fois financier, commercial et/ou réputationnel en cas de manquement.

Plusieurs dispositifs d’accompagnement ont été déployés par l’État, à l’instar des actions de sensibilisation et de formation de l’Agence française anticorruption (AFA). Concernant les audits étrangers de conformité (contrôle export, cyber, phytosanitaire, environnement, concurrence, etc.), le guichet unique du dispositif issu de la loi du 26 juillet 1968 (dite « de blocage ») opéré par le SISSE (guichet.sisse@finances.gouv.fr) depuis 2022 accompagne les sociétés françaises et leur apporte de la sécurité juridique dans l’application de la loi française, dans ses deux principaux volets (non-divulgation d’informations hautement sensibles pour la souveraineté, respect des mécanismes internationaux de coopération administrative et judiciaire).

Retrouvez toutes les rencontres des Business & Legal Forums sur www.blforums.com

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