Jennifer Baert : parcours d’une dirigeante aux multiples talents
BLR n° 49 – 17/04/2025
Photo de couverture : Jennifer BAERT
Jennifer Baert a pris les rênes du secrétariat général de Natixis en 2022. Elle en est également membre du Comité de Direction Générale. Derrière ce titre se cache une professionnelle au parcours aussi riche que varié.
Avocate inscrite aux barreaux de Paris et Londres, Jennifer a d’abord fait ses armes au cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton à Londres et à Paris en 2007. Mais c’est chez Euler Hermes (aujourd’hui Allianz Trade) qu’elle va vraiment déployer ses talents, enchaînant les postes à responsabilité : directrice juridique, responsable mondiale de l’activité de recouvrement de créances, puis de l’analyse du risque crédit.
Son expertise dans des domaines aussi divers que le droit, la conformité, la finance, la data et les opérations lui a valu d’être nommée secrétaire générale d’Allianz Trade début 2022, avant que le Groupe BPCE ne la repère pour rejoindre l’équipe dirigeante de Natixis.
Aujourd’hui, Jennifer a 41 ans, elle travaille aux côtés de Mohamed Kallala et Philippe Setbon au développement des activités de banque de financement et d’investissement et de gestion d’actifs du groupe. Une responsabilité de taille qu’elle aborde avec le même dynamisme qui a caractérisé ses 20 années de carrière.
Mais qui est vraiment Jennifer Baert en dehors des salles de réunion ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir, puisqu’elle a accepté de répondre aux questions mi-professionnelles, mi-personnelles de la BLR.
Quelle est votre rôle de secrétaire générale dans un groupe financier ?
C’est avant tout de veiller à ce que tous les enjeux réglementaires soient bien intégrés dans notre stratégie et dans nos activités, et réciproquement que les enjeux stratégiques du groupe et les attentes de nos clients soient bien pris en compte par les différents métiers du secrétariat général.
Le secrétariat général regroupe plusieurs domaines clés : le juridique, la compliance, la sécurité financière, mais aussi tout ce qui touche aux risques technologiques et cyber, à la continuité de l’activité, à la gouvernance et aux affaires réglementaires. Au total, c’est une équipe de 950 personnes, dont 600 pour la compliance et la sécurité financière, et 240 pour le juridique qui font partie des métiers et sont très opérationnelles, impliquées quotidiennement dans les dossiers.
Ce qui me motive vraiment, c’est de créer de la confiance, que ce soit en interne ou avec nos clients, nos partenaires externes et les régulateurs. Et mon objectif, c’est de transformer les exigences réglementaires en véritable avantage compétitif !
J’ai pris ce poste il y a trois ans, en juillet 2022. Avant ça, j’ai eu un parcours assez varié : huit ans chez Cleary comme avocate à conseiller des banques et des assurances, notamment aux Etats-Unis, puis neuf ans chez Allianz. Là-bas, j’ai commencé en tant que directrice juridique en Belgique où était située la holding opérationnelle, puis j’ai pris des responsabilités opérationnelles en prenant la direction d’une ligne de métiers, le recouvrement de créances BtoB à Paris. Les quatre dernières années, je suis passée au risque crédit, après un passage en Espagne, avec la mission d’y introduire l’IA et de transformer le modèle opérationnel.

Ce qui me motive vraiment, c’est de créer de la confiance, que ce soit en interne ou avec nos clients, nos partenaires externes et nos régulateurs. Et mon objectif, c’est de transformer les exigences réglementaires en véritable avantage compétitif !
Quand Natixis m’a approchée, ils cherchaient justement quelqu’un avec cette triple casquette : expertise réglementaire et relations avec les régulateurs à l’international, mais aussi expérience opérationnelle et managériale, et sensibilité à la data et à l’IA.
Le défi dans cette prise de poste ? Je considère que cela a été une évolution naturelle de mon parcours. Le vrai grand saut dans ma carrière, c’était bien avant, quand j’ai quitté la robe d’avocate pour rejoindre le monde de l’entreprise ! Ce que j’ai appris avec le temps, c’est que la clé quand on arrive quelque part, c’est d’abord d’écouter – comprendre la culture d’entreprise, cerner les attentes des équipes et des différentes parties prenantes, anticiper les évolutions, et délivrer des solutions opérationnelles efficaces.
Vous supervisez à la fois la conformité et le juridique. Comment cette approche transversale influence-t-elle votre vision stratégique du groupe ? Comment voyez-vous l’évolution de ces deux fonctions parfois distinctes mais qui semblent aujourd’hui de plus en plus interconnectées ?
La transversalité ne doit absolument pas se limiter aux fonctions conformité et juridique. C’est important d’avoir une gouvernance, un dispositif de contrôle interne et de gestion des risques efficace, efficient, et partagé par toutes les fonctions et toutes les lignes de métiers à travers la banque. La gestion des enjeux réglementaires concerne l’ensemble de la banque – c’est véritablement l’affaire de tous.
Le contexte actuel rend cette approche encore plus pertinente. Nous faisons face à des cadres réglementaires de plus en plus complexes et parfois divergents. Les récentes élections américaines illustrent ces changements de contexte international qui nous impactent directement.

C’est important d’avoir une gouvernance, un dispositif de contrôle interne et de gestion des risques efficace, efficient, et partagé par toutes les fonctions et toutes les lignes de métiers à travers la banque.
En tant que groupe international présent à la fois aux États-Unis, en Europe et en Asie, nous devons faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. Cela passe par la mise en œuvre de processus innovants et l’utilisation de technologies comme l’intelligence artificielle pour rester agiles.
C’est un enjeu fondamental pour nous d’appréhender avec rigueur et anticipation ces évolutions réglementaires, notamment l’art délicat de conjuguer celles qui ne vont pas toutes dans le même sens.
La digitalisation et l’intelligence artificielle transforment les méthodes d’analyse, de prévision et d’exécution des transactions. Comment accompagnez-vous le secrétariat général de Natixis dans cette transformation ?
L’IA redéfinit l’ensemble de nos métiers et fonctions, avec un élément central : la data. Cette technologie nous permet à la fois de renforcer significativement notre dispositif, et d’être plus efficaces en optimisant l’utilisation de nos ressources.
Un des avantages majeurs est la possibilité de libérer nos équipes de certaines tâches administratives pour se consacrer davantage au conseil aux lignes de métiers sur les nouveaux produits, les nouvelles activités, les tendances, les risques émergents, c’est-à-dire des missions à forte valeur ajoutée.
Prenons un exemple concret : l’IA prédictive permet désormais d’effectuer de manière exhaustive des contrôles internes traditionnellement réalisés par échantillonnage. L’IA générative facilite le travail des équipes et leur permet de produire plus efficacement des analyses approfondies et des rapports très opérationnels.
Finalement, c’est simple : à ressources égales, nous créons davantage de valeur ajoutée.
Votre expérience internationale vous donne un regard particulier sur les différentes cultures d’entreprise. Comment cela influence-t-il votre approche de la gouvernance ?
Plus de la moitié des activités de Natixis sont hors de France, cela façonne profondément notre approche de gouvernance. S’appuyer sur des ressources internationales nous permet d’être à l’écoute des différents régulateurs, de comprendre leurs attentes, d’anticiper les évolutions et de délivrer des solutions opérationnelles. Le fait d’avoir travaillé dans plusieurs pays m’a montré que cette multiculturalité apporte une diversité de points de vue précieuse, qui rend notre gouvernance plus performante et plus inclusive dans ses approches.
En tant qu’ancienne avocate d’affaires, qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans la transition vers des postes en entreprise ?
Il y a 15 ans, ce qui m’a le plus frappé, c’est le rapport à la décision. En entreprise, on analyse les opportunités et les risques, mais il faut surtout décider, et le faire rapidement, convaincre ses interlocuteurs, parfois se tromper et, dans ce cas, savoir le reconnaître. Le monde de l’entreprise permet aussi d’aller jusqu’au bout des projets, jusqu’à la réalisation et la mise en œuvre.
A titre personnel, quelles sont les causes qui vous tiennent à cœur ?

Je ne pense pas que ce combat de l’égalité puisse se faire en opposition avec les hommes, juste entre femmes. Il faut être inclusif, ne pas écarter les hommes, éviter les tensions inutiles
Je suis engagée sur les sujets d’inclusion et de diversité car je crois profondément que l’égalité homme-femme ne doit pas se faire au détriment des hommes. On ne souhaite pas plus de droits que les hommes, mais pas moins non plus. Je ne pense pas que ce combat de l’égalité puisse se faire en opposition avec les hommes, juste entre femmes. Il faut être inclusif, ne pas écarter les hommes, éviter les tensions inutiles. Ma conception du féminisme se rapproche de celle d’Emma Watson lorsqu’elle affirmait à l’ONU : « Plus je parle de féminisme, plus je réalise que la lutte pour les droits des femmes est trop souvent associée à la haine des hommes. S’il y a bien une chose dont je suis certaine, c’est que cela doit cesser. »
Les profils idéaux pour bosser avec vous ?
Je recherche des collaborateurs qui font preuve de réactivité, de professionnalisme, de transparence et qui ont un véritable esprit d’équipe. Je crois fermement à l’intelligence collective. C’est pourquoi je suis assez mal à l’aise face aux comportements territoriaux, quand quelqu’un défend son « pré carré » plutôt que de contribuer à l’effort commun.

En confrontant les points de vue, on parvient à de meilleures décisions, l’intelligence collective est une valeur fondamentale du Groupe BPCE.
J’apprécie particulièrement l’esprit critique. J’ai besoin que mes équipes osent s’exprimer, notamment quand elles ne sont pas d’accord. C’est important de créer un climat dans lequel les collaborateurs se sentent libres d’exprimer leurs opinions et de ne pas être d’accord, c’est ce qui nous fait progresser collectivement. En confrontant les points de vue, on parvient à de meilleures décisions, l’intelligence collective est une valeur fondamentale du Groupe BPCE.
Enfin, l’équité est une valeur centrale pour moi. Je préfère ce concept à celui d’égalité, car il implique une notion de justice. Il s’agit de valoriser les compétences de chacun.
Les personnes / personnalités avec lesquelles vous aimeriez dîner ? (célèbres ou pas, fictives ou pas, vivantes ou pas)
Amelia Earhart pour son courage et son audace. Connue également sous le nom de Lady Lindy, cette aviatrice américaine est célèbre notamment pour avoir été, en 1928, la première femme à traverser l’océan Atlantique en avion puis, en 1932, la première femme à le traverser en solitaire.
Aliénor d’Aquitaine, reine de France puis d’Angleterre, l’une des femmes les plus puissantes du Moyen Âge, parce qu’elle est un modèle de liberté et de résilience, elle a essayé de changer les choses de l’intérieur sans renverser la table.
Célèbre actrice hollywoodienne passionnée de théâtre et de technologie, Hedy Lamarr a marqué le cinéma des années 30/40. Mais, elle était surtout une scientifique de talent, inventrice d’un système secret de codage des transmissions, à l’origine du GPS et du WIFI.
Rudyard Kipling pour son génie littéraire et créatif. Si je devais donner un conseil à mes filles, je mettrais certainement en avant sa citation: « Si tu peux rencontrer triomphe après défaite, et recevoir ces deux menteurs d’un même front», alors, tu seras une femme ma fille.
Qu’est-ce que vous aimeriez faire différemment dans votre vie quotidienne ?
J’aimerais avoir plus de temps pour aller dans les différentes Banques Populaires et les Caisses d’Epargne qui constituent la colonne vertébrale du groupe. Ce sont des équipes passionnantes, imprégnées par des valeurs coopératives, territoriales et solidaires fortes, très inspirantes.
Quel autre métier auriez-vous aimé faire ?
Je rêvais d’être pilote ou ingénieur en aéronautique. Mon oncle était pilote pendant la seconde guerre mondiale et mon grand-père ingénieur en aéronautique, ces deux figures de mon enfance ne sont pas étrangères à ce rêve
Le livre que vous lisez actuellement ?
Je viens de terminer « La trilogie du siècle » de Ken Follet qui retrace le XXe siècle. Elle nous rappelle qu’il est nécessaire de faire preuve d’humilité sur la robustesse de nos institutions, notamment quand on se souvient de la chute en quelques mois de la république de Weimar.
Je viens de commencer « Le code rose » de Kate Quinn, roman qui met en lumière le rôle des femmes au sein de Bletchley Park, où les cerveaux les plus brillants de Grande-Bretagne étaient formés à casser les codes de l’armée allemande. J’aime l’idée que l’adversité nous invite à nous dépasser.
Propos recueillis par Florence Henriet, rédactrice en chef de la Business & Legal Review.

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