« Devoir de vigilance – dispositif français, projet de directive, principes directeurs de l’OCDE: quels enjeux des réformes pour les entreprises? » – Les brèves du BLF 2023
BLR n°35 – 14/12/2023
Photo de couverture : Lydia Meziani, directrice juridique risques, compliance et droits humains, NESTLE France
Devoir de vigilance – dispositif français, projet de directive européenne, principes directeurs de l’OCDE : quels enjeux et impacts pour les entreprises ?

Dix ans après le drame du Rana Plaza au Bangladesh, la question de la responsabilité sociétale et environnementale des multinationales a suscité de nombreuses initiatives normatives. Loi française de mars 2017 sur le « devoir de vigilance », projet de directive européenne en cours de discussion, principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales mis à jour en juin 2023 ne sont que le reflet d’une tendance de fond visant à exiger des acteurs économiques qu’ils adoptent des mesures concrètes pour identifier et prévenir les risques résultant non seulement de leurs activités mais également celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants.
Participant d’une logique comparable à celle applicable en matière de prévention des atteintes à la probité (cartographie des risques, dispositif d’alerte, évaluation des tiers, etc.), ces nouvelles obligations, à l’origine réservées aux multinationales, auront vraisemblablement vocation à concerner un grand nombre d’entreprises.
Nos invités reviennent en quelques mots décrypter quelques points sur les questions clés des sujets abordés au cours des tables rondes de la 15e édition du BLF (Business & Legal Forum) qui s’est tenu le 19 octobre 2023.
Ariane Fleuriot, avocat à la cour, compliance, DLA PIPER
Devoir de vigilance, comment prévenir/anticiper les risques?

La loi relative au devoir de vigilance actuellement en vigueur impose la mise en place de différentes mesures dont certaines ont vocation à anticiper les risques, comme c’est le cas notamment de la cartographie et des procédures d’évaluation des filiales, sous-traitants et fournisseurs.
Une fois déployées, elles permettront une meilleure identification et prévention des risques objets du dispositif (atteintes aux droits de humains etc.), mais aussi du contentieux et de ses conséquences réputationnelles, parfois très dommageables.
Si l’anticipation de l’intégralité des risques peut paraître illusoire pour certaines entreprises, du fait de leur réalité opérationnelle, l’implication des parties prenantes (syndicats etc.) lors de l’élaboration du plan de vigilance leur permettra de prioriser leurs actions.
En outre, la prise en compte de leurs attentes dans le cadre du déploiement des mesures demeure un moyen efficace pour les entreprises de limiter le risque de contentieux. S’il s’avère inévitable, une médiation entre les parties dans le cadre de la procédure pourra être envisagée.
Lydia MEZIANI, directrice juridique risques, compliance et droits humains, NESTLE France, doctorante en droit privé, EDS-IRIS
Dans le cadre de l’intégration du « devoir de vigilance », comment donner du sens et agir sur la transversalité ?

La vigilance est un thème déroutant qu’on retient mais sans le comprendre et dont la loi sur le devoir de vigilance serait l’expression d’un mouvement plus vaste : un esprit de vigilance.
Pour les praticiens, la vigilance est, par son régime, une obligation : celle des sociétés d’accomplir un fait positif. Les sociétés doivent mettre en place les mesures appropriées afin de répondre à leur obligation de vigilance.
Les entreprises ne sont pas visées par la vigilance parce qu’elles ont mal agi -pour cela il y a le droit pénal- mais parce qu’elles sont puissantes et peuvent agir. La vigilance répond à des obligations spéciales – à la fois verticales et horizontales – qui touchent toutes les catégories et tous les acteurs – Etats, entreprises et société civile- dans une logique de compliance qui nous lie les uns aux autres.
La vigilance est une réalité tangible de la compliance qui conduit à une responsabilisation de l’entreprise ancrée dans la confiance et se traduisant par de nouvelles obligations de reporting extra-financier, de rapports de durabilité et de plan de vigilance au nom de la transparence.
Forcément la double matérialité suscite bien des inquiétudes quant à la faisabilité opérationnelle mais elle est un rappel nécessaire que l’humain est et doit être la mesure de toutes choses.
Luis QUINONERO, directeur juridique développement durable et opérations, L’OREAL
Quelle réalité opérationnelle recouvre le devoir de vigilance chez L’OREAL?

Nous agissons sur notre empreinte environnementale et sociétale au-delà de la mise en conformité juridique. Nos actions s’inscrivent dans la durée, car notre supply chain est complexe en raison de la composition de nos produits.
Elles impliquent la mobilisation de centaines de fournisseurs avec des actions de sensibilisation, contractualisation et support, ainsi qu’une coopération avec des parties prenantes. Nous privilégions la correction des non-conformités, à l’arrêt immédiat de la relation commerciale. Notre vigilance est réalisée dans le cadre d’une démarche d’amélioration continue, et de suivi des plans d’actions.
Un comité « Devoir de vigilance », composé de plusieurs fonctions de l’entreprise, travaille régulièrement à l’actualisation de nos pratiques. Notre Groupe a mis en place des équipes dédiées à des achats durables, Droits humains, environnement, Ethique et juridique Développement durable.
De plus, des collaborateurs concernés par des sujets vigilance sont formés. Nous réalisons plus d’un millier d’audits sociaux par an et des audits renforcés de nos sous-traitants, diligentons des études d’impacts Droits humains ciblées, utilisons des outils de veille, participons activement à des initiatives multipartites, versons des compléments de prix permettant d’améliorer les revenus de plus de 80.000 personnes, avons lancé un programme « living wage », notamment pour les collaborateurs de nos fournisseurs stratégiques, et mettons à disposition de nos parties prenantes des mécanismes de traitement des plaintes.
Notre vigilance est variée et ancrée dans notre organisation. Nous cherchons à l’améliorer constamment face à l’évolution des risques et au besoin d’adapter nos pratiques.
Lioubov MATHEAU, gdpr, compliance counsel & dpo, NAVEX
Comment peut-on intégrer devoir ou esprit de vigilance dans la chaine de valeurs tout en gagnant en compétitivité ?

C’est un enjeu majeur pour les entreprises d’appréhender tous les devoirs qui relèvent de la conformité.
Avec le temps, la majorité d’entre elles ont compris que ces devoirs pouvaient représenter de formidables opportunités business leur faisant gagner en compétitivité.
Depuis 2000, de plus en plus de textes exigent des sociétés cette conformité. Le devoir de vigilance est un texte en plus. Il oblige les sociétés à être vigilantes sur l’impact sociétal et environnementale de chacune de leurs actions.
Les entreprises n’ont plus le choix, elles doivent intégrer cette vigilance.
L’anticipation est une clé indispensable de cette intégration dans tous les rouages de l’entreprise. C’est dans cet esprit que nous accompagnons nos clients dans une démarche de recensement interne, d’identification par les sentinelles en nous adossant à la culture d’entreprise pour les amener progressivement vers la maturité. Les enjeux sont très différents selon la taille de la société – rappelons que la directive européenne étend son champ d’application jusqu’aux entreprises de 250 salariés – et son secteur d’activité. Toutefois le point commun à toutes est de transmettre cet esprit de vigilance à tous les niveaux de son organisation et de faire adhérer toutes les équipes à ce devoir.
Nos outils vont pouvoir assurer le suivi et l’évolution dans le temps grâce à des indicateurs permettant d’identifier les risques et d’agir en conséquence. C’est un défi quotidien qui présente l’avantage de progresser en termes de communication et de réputation sur le marché. Donc, oui, je suis convaincue qu’intégrer devoir ou esprit de vigilance dans la chaine de valeurs permet de gagner en compétitivité.
Cette tribune est un extrait de l’une de nos tables rondes. Pour prendre connaissance de l’ensemble des travaux de nos tables rondes, participez à nos rencontres, elles sont particulièrement riches en retours d’expérience tant des entreprises que des autorités et des conseils. TOUT SAVOIR.