Médiation : est-ce surtout une histoire de posture ?
Photo de couverture Benoit Neveu, associé, Lacourte Raquin Tatar.
BLR n°24 -22/12/2022

Quelle est « la part de l’humain » dans la réussite de nos projets professionnels, notamment lors de résolution de litiges ? Toutes les trois semaines, nous vous proposons la vision d’une personnalité des affaires, des sciences humaines, d’un avocat… Sous l’œil aguerri de notre coach, Virginie Jubault.
Cette semaine, Virginie a posé ces questions à Benoit Neveu, associé du département droit public du cabinet Lacourte Raquin Tatar. Benoit pratique régulièrement la médiation et ce n’est pas qu’une question de technique. Un changement de posture change la donne !
Benoit, qu’est-ce qui t’a motivé à suivre une formation pour devenir médiateur ?
Elargir l’horizon d’abord. Après presque 20 ans d’exercice professionnel, je souhaitais accrocher une nouvelle corde à mon arc et développer de nouvelles compétences. Alors que j’ai longtemps eu une approche assez technique de l’exercice de la profession d’avocat, et que l’aspect relationnel et l’importance de l’humain ne sont venus que dans un second temps, j’ai eu envie d’aller plus loin et d’apprendre à aider, à résoudre les problèmes par le relationnel et l’humain et pas forcément par le droit.
« L’aspect relationnel et l’importance de l’humain ne sont venus que dans un second temps, j’ai eu envie d’aller plus loin et d’apprendre à aider, à résoudre les problèmes par le relationnel et l’humain et pas forcément par le droit. «
C’est d’ailleurs pour cette raison que parmi les différentes écoles de formation à la médiation, j’ai sans doute choisi une des moins juridiques, à savoir l’IFOMENE à l’Institut Catholique de Paris. Le droit y conserve évidemment une place mais on y suit des cours en matière de communication, de psychologie, de philosophie etc…
Ensuite le choix de suivre cette formation est, bien entendu, lié au développement croissant de la médiation, notamment dans ma pratique de droit public. Depuis que la médiation a fait son entrée fin 2016 dans le code de justice administrative, les tribunaux administratifs sont de plus en plus nombreux à proposer des médiations dans les litiges dont ils sont saisis, notamment en matière de contrats publics qui est mon domaine de prédilection. Se former à la médiation, c’est bien sûr apprendre à intervenir en tant que médiateur et ainsi à changer de posture, mais c’est également apprendre à mieux accompagner ses propres clients dans le cadre de médiation.
Que peux-tu nous dire sur le changement de posture entre avocat et médiateur ?
L’avocat qui agit comme médiateur est neutre et ne défend, par définition, aucune des parties. En retrait, il ne rentre pas techniquement dans le dossier. Le plus compliqué pour l’avocat médiateur, qui connaît la matière sur laquelle porte le litige, réside dans le fait de ne pas donner son avis. En effet, les médiés sont parfois en attente de conseils de sa part ou cherchent à être confortés sur ce qu’ils expriment, et c’est sur cet aspect là que le changement de posture peut s’avérer plus délicat.
« Les médiés (…) cherchent à être confortés sur ce qu’ils expriment, et c’est sur cet aspect là que le changement de posture peut s’avérer plus délicat. »
De son côté, l’avocat qui accompagne des clients dans le cadre d’une médiation doit rester dans un rôle de facilitateur et prendre un peu de hauteur dans le dossier, sans rechercher, comme il le ferait dans une démarche contentieuse, à défendre ce qu’il pense être l’intérêt de son client à tout prix. Il doit laisser son client s’exprimer, exprimer ses besoins et ses intérêts, quitte à le questionner pour bien valider que c’est bien là ce qu’il veut. Il n’est jamais bon qu’en médiation l’avocat accompagnateur se substitue à son client. Si le médiateur doit avant tout être dans une attitude d’écoute des médiés, c’est également le cas dans une certaine mesure de l’avocat accompagnateur. J’ai l’expérience récente d’une médiation ou l’avocat d’une partie, chargé de rédiger l’accord qui avait été trouvé, a relancé le conflit en optant pour une rédaction qui sortait des termes exacts choisis par les parties et qui ne répondaient aux besoins et préoccupations exprimés par son client en séance.
Quelle est la part de l’humain dans la médiation ?
J’interviens principalement en tant que médiateur désigné par le juge administratif dans des litiges qui concernent rarement des particuliers mais avant tout des personnes morales, administration d’un côté – notamment des collectivités locales – et entreprises de l’autre. Or, j’étais moi-même le premier sceptique avant de me former à la médiation sur la capacité à rencontrer de « l’humain » en traitant avec et pour des personnes morales. Mais en réalité, on se rend vite compte bien évidemment que derrière n’importe quel litige, y compris les contentieux d’affaire, il y a des hommes qui l’incarnent. Ce sont les incompréhensions, le vécu d’une situation qui mènent les parties à rentrer dans un conflit. Dans un contentieux classique, chaque partie a tendance à se retrancher derrière son avocat. Dans une médiation, ce sont des personnes physiques qui se retrouvent face à face.
« Ce sont les incompréhensions et le vécu d’une situation qui mènent les parties à rentrer dans un conflit. Dans un contentieux classique, chaque partie a tendance à se retrancher derrière son avocat. Dans une médiation, ce sont des personnes physiques qui se retrouvent face à face. »
Il n’est pas rare que l’échange direct permette à chaque partie de redéfinir ses intérêts ou de prioriser différemment ses attentes en entendant voire en comprenant la position de l’autre. Le filtre du contentieux devant les tribunaux offre en revanche rarement cette opportunité.
« Le filtre du contentieux devant les tribunaux offre en revanche rarement cette opportunité. »
Que t’a apporté le rôle de médiateur, à toi, et à tes clients ?
La médiation m’a clairement fait changer mon regard sur la notion de conflit, et montré que le conflit pouvait être positif. Alors que la logique contentieuse amène les tribunaux à trancher et schématiquement à choisir celui qui a raison face à celui qui a tort. La médiation légitime le désaccord et permet de le dépasser pour trouver des solutions qui conviennent à tous.
« La logique contentieuse amène les tribunaux à trancher et schématiquement à choisir celui qui a raison face à celui qui a tort. La médiation légitime le désaccord et permet de le dépasser pour trouver des solutions qui conviennent à tous. »
Elle m’a aussi encore mieux sensibilisé à l’importance d’échanger avec l’autre, d’entendre et respecter son point de vue. Et cela y compris dans mes relations avec mes clients en tant qu’avocat, en étant sans doute plus encore à l’écoute en amont de leurs besoins avant de se projeter en aval sur la manière de les satisfaire techniquement.
« Les techniques d’écoute et de reformulation apprises dans le cadre de la formation à la médiation sont enfin une véritable plus-value. »
Les techniques d’écoute et de reformulation apprises dans le cadre de la formation à la médiation sont enfin une véritable plus-value lorsque j’interviens pour des clients dans le cadre de projets impliquant une multiplicité de partenaires, ou même simplement dans le cadre de négociations avec des contreparties ou leurs conseils.