La cohésion d’équipe ou l’art de concilier les intérêts divergents
Rubrique sous la direction de Virginie Jubault, coach Transformance Coach&Team, école de coaching de V. Lenhardt et Institut de NeuroCognitivisme.
Toutes les trois semaines, V. Jubault choisit une personnalité des sciences humaines pour donner sa vision de « la part de l’humain » dans la réussite de projets professionnels en lien avec l’actualité économique et juridique.
L’impact économique de la cohésion d’équipe est une évidence mais pas simple de concilier les intérêts de carrière de chacun. Julie GAUVIN, executive coach, formatrice, conférencière, nous livre le pourquoi du comment.
Nous réfléchissons souvent au « What ? », l’ensemble des produits et des services que nous proposons. Mais réfléchissons-nous assez au « How ? », l’ensemble des codes et des processus explicites et implicites qui gouvernent nos organisations et au « Why ? », l’ensemble des intérêts personnels versus collectifs qui nous réunissent et gouvernent ?
Julie, sur quoi repose la cohésion d’équipe ?
Quatre piliers :
- Le sens et l’intérêt du projet,
- La légitimité du leader,
- Le management,
- La confiance.
De mon point de vue, elle repose sur quatre piliers : le sens et l’intérêt du projet, la légitimité de leader, le management qui tient compte des besoins de ses équipes et la confiance, qui est le marqueur de la qualité relationnelle au sein de l’équipe. Si l’un des quatre piliers manque, nous risquons d’avoir un conflit : un conflit d’objectifs, un conflit de moyens ou un conflit de personnalités. Si l’on ressent un manque de cohésion, il est important d’identifier à quel niveau se situe le problème.
Comment définis-tu le WHY ? Qu’est-ce qu’un conflit d’objectifs ? Que mets-tu derrière le mot « sens » tellement utilisé de nos jours ?
Chacun a besoin de savoir où il va et de pouvoir y aller. Le mot « Why » décrit cette réalité. La cohésion apparaît quand la direction et les valeurs personnelles correspondent à celles prises par l’organisation. Le mot sens réunit ces deux notions : direction et valeur.
Le conflit d’intérêts apparaît quand nous ne partageons pas la même vision sur le développement de l’organisation et/ou quand nos objectifs personnels de croissance ne s’inscrivent pas dans la dynamique de l’entreprise.
Julie Gauvin, Coaching et Formation
Le rôle et l’importance de chacun doivent être très clairement définis et reconnus dans la trajectoire collective, pour que le développement de l’organisation soit porté par le développement individuel et la fierté d’appartenance. Sinon, nous risquons d’avoir un conflit d’intérêts et une perte de sens.
De ce que j’ai pu observer, il est impossible d’insuffler une dynamique de cohésion à une équipe si le management n’est pas soudé, s’il y a une défiance mutuelle, s’il ne partage pas la même vision du développement et si l’information ne circule pas de manière fluide.
Quels sont les sujets sur lesquels associés ou membres du Codir doivent être alignés ?
Je reviens sur la notion du sens : ils doivent être alignés sur les notions de la direction et des valeurs. Puisque la recherche du sens est une réponse à la question « Où veut-on être demain ? », il faut d’abord se mettre d’accord sur : « Où en sommes-nous aujourd’hui et cela nous convient-il ? » Comment élaborer l’avenir, si on ne partage pas un regard clair et lucide sur le présent ?
Pour s’aligner sur la direction, il serait utile de se poser les questions suivantes.
Sommes-nous d’accord sur la stratégie de développement du cabinet / de notre organisation ? Sommes-nous d’accord sur nos objectifs à un, trois, cinq ans ? Est-ce que le rôle de chacun y est clairement établi ? Est-ce que chacun y trouve son intérêt et sa place ? Quels talents cherchons-nous à recruter ? Comment les rémunérons-nous ? Quels sont nos partenaires, clients clés ? Sommes-nous d’accord sur les impacts qu’auront sur nous les évolutions de la technologie et de la réglementation impactant nos clients et leurs concurrents ?
Et plus spécifiquement pour les cabinets d’avocats : Sommes-nous d’accord sur la structure la plus ad hoc et la répartition de revenus ? Voulons-nous nous spécialiser ou rester généraliste ?
L’exploration de votre passé, de l’ADN de votre organisation permet d’identifier vos valeurs, votre manière de fonctionner ensemble. Elle permet de former un corps, d’être clair dans votre communication vis-à-vis de l’extérieur. En interne, elle permet également d’affiner vos critères de profil à l’embauche. Ce qui est très important pour que les nouvelles recrues s’intègrent harmonieusement dans la culture et la manière de fonctionner de votre organisation.
La réflexion autour des questions suivantes peut s’avérer utile.
Quel a été le « geste fondateur » ? Quels sont les mythes qui font partie de notre inconscient collectif ? Qui sont nos modèles ? Nos moments de gloire, de peine ? A quels moments de notre histoire avons-nous commis des erreurs ? Comment les avons-nous dépassées ? Quelles leçons en avons-nous tirées ? Quels types de comportements encourageons-nous ? Quelles situations nous ne voulons plus voir se reproduire ? Y-a-t-il un sentiment d’appartenance ?
Cette réflexion est censée donner lieu à différentes formulations du sens qui vous réunit et de la manière dont vous fonctionnez ensemble : « au fond, nous avons toujours cherché à … », « chez nous, nous avons toujours voulu … », « ce qui est important pour nous, c’est … », « nous ne voulons plus que ceci se répète… », etc…
Le travail sur l’ensemble de ces points permet d’identifier votre socle, votre place particulière, la trajectoire et la vitesse souhaitées de développement. Cette réflexion offre la possibilité aux associés ou aux membres du Codir de se poser la question, sur la compatibilité de leurs propres valeurs et objectifs de développement avec ceux de l’équipe. C’est ce qui permet un alignement des intérêts personnels avec les intérêts collectifs.
Peux-tu nous préciser ce que tu entends par « How » et conflits de moyens ?
Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur l’envie d’aller au même endroit, nous devons aborder le sujet de nos habitudes opérationnelles qui permettent la réalisation de nos objectifs communs, au risque de nous retrouver avec un conflit de moyens. Nous pouvons être d’accord sur la finalité mais pas sur les moyens. Ici aussi, l’alignement du Codir et des associés est absolument essentiel.
Nous accordons beaucoup d’importance aux compétences techniques de ceux que nous recrutons. Accordons-nous la même importance aux conditions dans lesquelles ces personnes travaillent par la suite ? Leur permettent-elles de délivrer ce pour quoi elles ont été embauchées ?
Julie Gauvin, Coaching et Formation
L’expression « culture d’entreprise » est galvaudée et paraît presque vide de sens, bonne seulement pour être validée par la conformité et être mise sur les plaquettes de présentation. On prend rarement le temps de réfléchir et définir la manière dont on travaille ensemble, quelles sont les règles et les habitudes explicites et implicites qui régissent nos interactions ? Sont-elles optimales, vu les objectifs que nous nous sommes fixés.
L’exploration de la culture d’entreprise, sa co-élaboration est la condition sine qua none de la cohésion d’une équipe. De quelle manière les décisions sont-elles prises ? Les conflits gérés ? Y-a-t-il un accompagnement pour modifier à temps les erreurs ? Est-ce que chacun se sent respecté, écouté ? La manière dont se déroulent nos réunions nous convient-elle ? Est-ce que les décisions qui y sont prises sont appliquées ? Quelle est la nature de la communication que nous utilisons entre nous : formelle ou informelle, directe ou indirecte, explicite ou implicite ? Est-elle efficace ? Convient-elle à tout le monde ?
Plus spécifiquement pour les cabinets d’avocats :
Essaye-t-on d’avoir une répartition équitable du travail entre collaborateurs ? Les collaborateurs se sentent-ils soutenus par les seniors ? Est-ce que la gestion des urgences est juste et claire ? Y-a-t-il une bonne évaluation par les associés du temps nécessaire pour accomplir les objectifs et tâches administratives ? Y-a-t-il des conflits de loyauté ? Y-a-t-il des exemples déroutants ? A-t-on l’habitude d’afficher des jugements tranchés, des certitudes non discutables ? Y-a-t-il un référent pour pouvoir se confier, recevoir un conseil ?
Les conflits entre les intérêts personnels et collectifs naissent beaucoup dans le mauvais fonctionnement à ce niveau-là. Si je ne me sens pas en sécurité, si je pense que je ne dispose pas d’assez de ressources, si je ne me sens pas respecté, si mes responsabilités ne sont pas corrélées avec mes pouvoirs, je risque d’être aigri et sur la défensive. Au lieu de m’investir dans le travail d’équipe, il y a des chances que j’aille passer plus de temps à me protéger.
Nous ne consacrons pas le temps nécessaire en amont pour s’assurer du bon fonctionnement de nos équipes, au risque de passer après beaucoup plus de temps à gérer les dysfonctionnements, les conflits, les départs et in fine notre propre épuisement et démotivation.
Julie Gauvin, Coaching et Formation
J’ai brièvement évoqué notre fonctionnement émotionnel et nos besoins psychologiques profonds. Si nous n’en tenons pas compte, nous risquons de nous retrouver avec le troisième type de conflits, le plus difficile et épuisant : le conflit interpersonnel qui empêche la cohésion et met à rude épreuve la confiance.
Nous aborderons dans une seconde partie (à venir dans les prochaines semaines dans les colonnes de la Business & Legal Review) les ressorts les plus courants de ce troisième type de conflit, les moyens de les prévenir, ainsi que les points de vigilance dans le choix de la manière dont nous exerçons notre leadership. C’est l’ensemble du travail sur ces points qui vous permettra de créer des conditions nécessaires pour une cohésion profonde et durable, remettre le travail d’équipe et la bienveillance au centre de votre association ou organisation, valoriser le temps passé pour le bien-être de la collectivité en réponse aux objectifs fixés.
Courte biographie de Julie Gauvin :
Après avoir travaillé à Moscou et à New-York, Julie se forme aux neurosciences appliquées au management et passe la certification Transformance Coach&Team chez V. Lehnardt. Elle fonde son cabinet et depuis dix ans accompagne les équipes et les associés, anime séminaires et conférences.