Le besoin de reconnaissance : moteur ou frein à la cohésion d’équipe ? 

Toutes les trois semaines, une personnalité des sciences humaines est choisie pour donner sa vision de « la part de l’humain » dans la réussite de projets professionnels en lien avec l’actualité économique et juridique.


Cette semaine, Virginie Jubault nous fait part de son interview avec Julie Gauvin, Executive coach, formatrice, conférencière et fondatrice – Julie Gauvin Coaching et Formation.

Julie a reçu la plume d’Argent pour l’interview relative à notre fonctionnement émotionnel, nos systèmes de défense qui s’activent malgré nous et les conflits interpersonnels qui en découlent. Nous avons pensé qu’il serait intéressant de traiter le sujet plus en détails. 

Le conflit interpersonnel apparaît dans deux cas de figures  : là où les besoins d’équipes deviennent divergents des besoins personnels et là où les besoins personnels des individus s’entrechoquent. L’objectif de cette interview est de donner des clés de lecture pour le deuxième cas de figure, afin de vous permettre d’anticiper et mieux gérer stress et conflits.  

L’une des motivations profondes qui nous animent tous au travail est en même temps celle qui crée le plus de problèmes  : notre besoin de reconnaissance. Nous avons tous besoin de nous sentir respectés, compétents, d’occuper une place qui nous convienne.  

Julie, peux-tu nous expliquer les origines et la puissance de l’emprise de ce besoin de reconnaissance sur nous tous ? 

L’’objectif de notre cerveau est de nous garder en vie. Pour le rester, une fois avoir mangé, bu et dormi, l’homme préhistorique avait plus de chances de survie au sein d’un groupe. Plus encore, sa survie dépendait de son rang dans ce groupe qui déterminait son ordre d’accès à la nourriture et à l’eau.

Ce besoin d’appartenance au groupe et la nécessité d’y occuper une certaine place distincte restent toujours centraux pour notre cerveau et constituent la base la plus puissante des motivations qui nous animent au travail.   

Julie Gauvin

Pourquoi parler de deux besoins opposés qui peuvent s’entrechoquer et créer des situations conflictuelles ? 

Ce besoin de reconnaissance oscille entre deux pôles : le besoin d’appartenance à un groupe et celui de se sentir distinct, différent, et donc d’avoir une action et des résultats visibles, non dilués dans le groupe. 

En fonction de notre construction identitaire, certains individus peuvent avoir plus besoin de nourrir leur sentiment d’appartenance et d’autres leur sentiment de visibilité et de différence. Ce sont ces deux extrémités qui s’entrechoquent, qui peuvent mal se comprendre et avoir des difficultés à travailler ensemble.  

Peux-tu nous nous faire le portrait-robot de chacun des managers correspondant à ces deux pôles ? 

Pour illustrer l’associé, dont la motivation identitaire centrale serait l’appartenance, je dirais que les mots clés relatifs à sa manière de travailler, gérer l’équipe et ainsi nourrir son besoin d’appartenance seraient les mots rassembleur et fédérateur.  

Ceux qui privilégient l’appartenance sont conviviaux, mettent de l’ambiance dans les équipes, sont souples et attentifs aux avis des autres. Ils sont disponibles, justes, facilitateurs et diplomates. Ils ont un sens du compromis, sont consensuels et veillent à la cohésion du groupe. En même temps, cette motivation profonde les pousse à éviter les conflits, ce qui les conduit à être parfois fuyants, à avoir du mal à trancher, à chercher toujours un consensus au détriment parfois du résultat. Toute décision peut prendre beaucoup de temps, ils peuvent ainsi laisser passer des opportunités, être sclérosants pour les équipes, les freiner devant la nouveauté et avoir du mal à prendre des risques.  

Ils peuvent se taire quand il aurait fallu s’exprimer, prendre trop sur eux, hésiter trop longtemps avant de s’engager eux et l’équipe, au risque de passer à côté des opportunités. Ils peuvent vouloir aider les autres, « faire à la place » de manière compulsive, s’épuiser. Ils peuvent abandonner rapidement leur point de vue face aux résistances ou à la hiérarchie, reculer jusqu’au dernier moment avant de régler une situation, rester dans le déni, trop écouter les avis des autres et avoir du mal à recadrer.  

Ils vont tout faire pour éviter le conflit et garder un semblant d’harmonie qui leur procure un sentiment de sécurité, de bien-être et d’appartenance. Ils se sentent reconnus et trouvent leur motivation dans le fait de garder la cohésion du groupe et leur appartenance au même groupe.  

Imaginez maintenant une autre polarité, dont le moteur central serait la manifestation de son individualité, de sa différence et de sa compétence.  

Celui pour qui il est primordial que son rôle et sa place soient bien distincts et visibles est d’habitude novateur, créatif, combatif et efficace.  Si je dressais son portrait-robot, je dirais qu’il aime le sens du défi, sait supprimer les obstacles, n’hésite pas à donner son point de vue, sait trancher et agit avec fermeté. Il veut aller vite, mais de ce fait, il peut faire prendre au groupe des risques mal mesurés. 

Comme ce qui compte pour lui, c’est que sa compétence soit visible, il risque d’aimer avoir raison, argumenter sans fin et être peu attentif aux points de vue des autres. En présence de l’autre, nos peurs personnelles ressurgissent. Pour ce type de personnalité, il est difficile d’accepter la compétence de l’autre, puisqu’à chaque fois que quelqu’un est reconnu comme compétent, dans sa tête, cela remet immédiatement en cause la sienne.  

Tant que nous ne nous donnons pas à nous-mêmes une reconnaissance inconditionnelle, nous sommes en attente permanente et dépendants de la reconnaissance de l’autre. Moins on se l’accorde, plus on l’exige de l’autre. Du coup, il risque de vouloir s’imposer davantage, privilégier le résultat personnel à la relation et à l’intérêt du groupe. Il peut être sévère, faire peu de compliments, montrer peu de signes de reconnaissance et être trop directif.  

Il peut vouloir tout contrôler, dominer, vouloir être premier tout le temps, jusqu’à être autoritaire, rigide et faire pression. Si je vais du côté sombre de la force, il pourrait juger facilement, dévaloriser le travail de l’autre, intimider, provoquer, ridiculiser jusqu’à manipuler et harceler. Tout cela pour être premier et visible pour nourrir le besoin de reconnaissance côté différence.  

Peux-tu nous décrire la coexistence de ces deux profils au travail ? 

 L’un est en attente constante de signes de reconnaissance et de l’esprit d’équipe et l’autre est uniquement animé par l’efficacité et la visibilité. L’un pour se sentir bien et travailler dans de bonnes conditions doit d’abord discuter dix minutes et l’autre se plonger immédiatement au travail, au risque de perdre du temps. L’un aime solliciter des avis, revérifier dix fois, échanger pour créer un climat de travail dans lequel il peut donner le meilleur de lui-même et l’autre préfère réfléchir seul et se sent dérangé par chaque question de son collègue.  

Sans même aller dans les extrêmes que ces deux polarités engendrent comme type de comportement et de tempérament, vous pouvez voir avec cette illustration que les deux profils vont vite finir par s’épuiser et mal se supporter. Aucun des deux n’est dans un environnement professionnel propice. Quand il y a une incompatibilité, il ne peut pas y avoir de productivité, sauf si mutuellement nous comprenons et acceptons la richesse que ces deux polarités apportent. Que nous intégrions que nous sommes tous in fine régis par le même fonctionnement biologique, qu’il n’y a pas un meilleur cas par rapport à un autre, qu’on se prive de la part de bon qu’on pourrait s’apporter mutuellement.  

En lisant ces descriptions rapides vous avez, peut-être, pensé à des cas similaires que vous avez côtoyés. En fonction de nos propres préférences motivationnelles, de nos croyances et de nos valeurs, nous avons plus ou moins du mal à travailler avec les profils opposés. Nous avons tous construit « humblement » nos croyances pour justifier notre manière de fonctionner, nos systèmes de défense et pour nourrir notre besoin de reconnaissance. 

Je vous ai décrit en détail les deux profils qui correspondent aux deux motivations les plus puissantes qui nous animent. Il n’y en a pas un qui soit meilleur que l’autre. Nous avons besoin de ces deux forces vitales dans les équipes : de ceux qui poussent, développent et de ceux qui assurent derrière que tout fonctionne, qui vérifient qu’il y ait une cohérence, qui sont les garde-fous et veillent à ce qu’il y ait un climat où il fait bon vivre et travailler.  

Que proposes-tu pour fluidifier les rapports ? 

Personne n’est infaillible. Et tout est question de proportion.

Emmanuelle Lomenède

Pour fluidifier les rapports, il serait bon que tous les membres d’équipe puissent répondre « Oui » aux trois questions suivantes :  

– « Est-ce qu’on se parle suffisamment entre nous ? Si oui, 

– Est-ce que la parole est libre  ?  

-Suis-je sûr(e)de pouvoir parler de mes difficultés et de mes peurs sans que cela ne vienne se retourner contre moi  ?  

Pour bien travailler ensemble, il vaut mieux se connaître. Pour cela, il faut pouvoir parler ouvertement.  

Il serait bien de pouvoir prendre du temps pour régler les tensions, lever les non-dits et les mauvaises interprétations que chacun garde pour soi et qui mènent ensuite aux conflits.  

Il serait souhaitable de pouvoir répartir les tâches, les rôles, les gens dans les équipes en fonction de ce qui les anime et du meilleur qu’ils peuvent apporter (pôle appartenance ou pôle différent/distinct dominant). Ce sont des profils en réalité complémentaires. Pour être la plus compétitive et efficace, l’équipe a besoin des deux profils. Cette prise de conscience permet d’ajuster le curseur entre les deux polarités, de déployer le potentiel et d’enlever les freins de fonctionnement des managers.  

L’incompatibilité est créée par la rigidité, pas par la différence ! Si on en est conscient, le monde et les besoins de l’autre s’ouvrent à nous et deviennent moins insupportables. On intègre le cadre de référence de l’autre et on peut avancer. Si je m’arcboute sur ma rigidité en l’autojustifiant comme la seule et meilleure manière possible de procéder, je risque de créer des conflits ou de démotiver des collaborateurs qui fonctionnent différemment.  

Julie Gauvin

Quand on reste campé sur une idée, ce n’est plus l’idée qu’on défend, mais l’image de soi-même, ce qui n’a plus rien à voir avec les intérêts de l’entreprise. On s’accroche pour ne pas se sentir humilié ou être confronté à ses peurs et limites. En étant rigide sur la position, c’est une autre chose que je défends, pas le projet.   

Je vais énoncer une évidence  : quand l’équipe est bien managée, chacun se sent reconnu à sa juste valeur, il y a un fort esprit d’appartenance, les ailes de tous poussent, on se sent investi et motivé. Quand je ne me sens pas respecté à ma juste valeur, quand j’ai l’impression que je n’occupe pas la place que je devrais occuper, le sentiment de frustration naît, la peur d’être fondu dans le groupe ou la frustration commence à occuper notre esprit nous privant de notre énergie interne, on se sent vide et démotivé. Ces sentiments nous minent et ne permettent plus de donner le meilleur de soi.  

L’homme préhistorique est toujours vivant en nous, nous nous battons toujours pour notre place ou plutôt nous sommes toujours pilotés par le même programme au niveau du cerveau qui est censé augmenter nos chances de survie. Nous sommes impuissants à changer quoi que ce soit dans ce programme, mais nous pouvons apprendre à mieux vivre avec, à élargir notre zone du possible, à sortir des tunnels comportementaux, à respecter notre nature et notre fonctionnement biologique.   

Nous avons le choix entre tirer le meilleur de ce puissant moteur qu’est le besoin de reconnaissance, ou le laisser se transformer en guerre des individualités, en frein qui ronge de l’intérieur l’efficacité et la productivité des équipes. 


Courte biographie de Julie Gauvin :

Après avoir travaillé à Moscou et à New-York, Julie se forme aux neurosciences appliquées au management et passe la certification Transformance Coach&Team chez V. Lehnardt. Elle fonde son cabinet et depuis dix ans accompagne les équipes et les associés, anime séminaires et conférences.

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