L’Affaire du siècle

Quels enseignements pour les entreprises ? 

Par Clémentine BALDON, avocate de la Fondation Nicolas Hulot (FNH), droit de la concurrence, affaires et environnement 

Qu’est-ce que « l’Affaire du siècle » ?

L’Affaire du siècle est le nom donné à un recours en justice initié fin 2018 devant le tribunal administratif de Paris par 4 associations (la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, Oxfam et Notre Affaire à tous). L’objectif était double : faire reconnaître l’insuffisance des actions de l’Etat en matière climatique – et donc sa responsabilité – et le contraindre à adopter des mesures plus efficaces et ambitieuses, permettant de respecter ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique.

Une telle logique pourrait être transposable aux entreprises. (…) Elles devraient démontrer que leur stratégie globale mais aussi leurs actions concrètes et leurs investissements les mènent suivre une trajectoire compatible avec leurs déclarations en matière de RSE.

Clémentine Baldon, Fondation Nicolas-Hulot

C’est une affaire inédite à plusieurs égards.

D’abord, de par la mobilisation citoyenne (et en conséquence, le retentissement médiatique) qui l’a accompagnée. La vidéo explicative diffusée sur les réseaux sociaux au moment où le recours a été initié a été vue plus de 15 millions de fois. Et la pétition en ligne de soutien à cette action a recueilli plus de 2 millions de signatures en quelques semaines, un record absolu en France. C’est ainsi, qu’avant même de constituer une véritable action juridique, l’Affaire du siècle s’est transformée en un support de mobilisation et levier politique puissant.

Ensuite, au regard de l’audace dont a fait preuve le tribunal administratif de Paris dans son jugement, rendu le 3 février 2021 et qui est une victoire pour les associations requérantes. Le tribunal reconnaît en effet, pour la première fois en France, que le non-respect par l’Etat de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre constitue un manquement engageant sa responsabilité. Il envisage en outre d’enjoindre à l’Etat de prendre des mesures permettant de réparer les dommages à l’environnement causés par ses manquements et d’y mettre fin. Il laisse donc aux parties un délai supplémentaire pour débattre sur les mesures à adopter.

Quels enseignements tirer de cette affaire ?

L’Affaire du siècle apporte des avancées majeures en matière de justice climatique, qui concernent l’Etat au premier chef mais sont susceptibles de s’étendre également aux entreprises.

D’abord, face à la menace existentielle du réchauffement climatique et l’urgence à agir, la société civile n’hésite plus à mobiliser tous les leviers, y compris l’instrument juridique – et ce avec une efficacité croissante. A cet égard, l’action juridique vient nourrir la mobilisation citoyenne et réciproquement, ce qui permet aux associations de déployer des stratégies puissantes.

De telles stratégies vont naturellement s’étendre aux entreprises si leurs actions sont perçues comme incompatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris. C’est d’ailleurs déjà le cas ; par exemple, la société Total a été assignée l’année dernière par des associations et collectivités territoriales pour la contraindre à revoir son plan de vigilance et y intégrer des mesures permettant de réduire fortement ses émissions de gaz à effet de serre.

Ensuite, l’Affaire du siècle montre que la justice est désormais prête à jouer pleinement son rôle de contrôle de l’action publique en matière climatique. En effet, le tribunal administratif de Paris n’a pas hésité à juger que l’Etat avait commis une faute en ne respectant pas ses engagements climatiques, et ce alors même que les sujets de débat juridique étaient nombreux. Par exemple, ces engagements sont contenus dans des accords internationaux non invocables et des lois de programme jusqu’à présent considérées comme de la « soft law ». Le juge a ainsi véritablement pris l’Etat au mot.

« L’Affaire du siècle, c’est aussi un formidable collectif d’avocats, juristes, professeurs de droit, chargés de plaidoyer et chargés de communication. Personnellement, j’ai énormément apprécié les échanges et débats, nourris et enrichissants, au sein de notre collectif. Je suis d’ailleurs convaincue qu’ils ont beaucoup contribué à la force du dossier. »

Clémentine Baldon, avocate au Barreau de Paris

On ne peut s’empêcher de penser qu’une telle logique pourrait être transposable aux entreprises. Par exemple, à l’heure où les engagements de « neutralité carbone » des entreprises se multiplient, les organisations de la société civile pourraient vouloir confronter ces engagements à la réalité des actes. Les entreprises devraient alors démontrer que leur stratégie globale mais aussi leurs actions concrètes et leurs investissements les mènent à suivre une trajectoire compatible avec leurs déclarations en matière de RSE. A défaut, elles pourraient être taxées de « greenwashing » et voir leur responsabilité engagée.

Ces évolutions ne peuvent donc qu’inviter les entreprises à accorder dès à présent une attention particulière à la question de l’impact climatique de leurs activités et leur cohérence avec leurs engagements en la matière.

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