La société civile, facteur X de l’éthique des affaires ?
BLR n°42 – 12/09/2024
Photo de couverture : Jean-Julien LEMONNIER avocat associé, Vincent FILHOL, of counsel, STEPHENSON HARWOOD
« Considérant qu’Anticor contribue effectivement et publiquement à la lutte contre la corruption et les atteintes à la probité par sa participation à des réflexions et à différents évènements au niveau national et local », le Premier ministre a renouvelé par arrêté du 5 septembre 2024, l’agrément de cette association pour lui permettre d’exercer les droits de la partie civile dans les affaires de corruption.
Quoi qu’on pense du militantisme ou du positionnement sur le fond de tel organisme ou de telle institution, la société civile a une place fondamentale en compliance, et plus généralement, en éthique des affaires.
Les choses n’allaient pourtant pas de soi, aux yeux de certains. A tel point qu’il a fallu que par une ordonnance du 9 août 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris enjoigne au gouvernement de revoir sa décision implicite de refus, en considérant que « la possibilité d’exercer les droits reconnus à la partie civile pour une association se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption participe de l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale et participe de l’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la grande délinquance économique et financière ». Quoi qu’on pense du militantisme ou du positionnement sur le fond de tel organisme ou de telle institution, la société civile a une place fondamentale en compliance, et plus généralement, en éthique des affaires.
Une fonction de vigie pour informer et alerter
Dans ce cadre, la transparence en matière de décisions publiques doit concourir au-delà l’information, à un contrôle exercé par chacun. Le registre public des bénéficiaires effectifs, remis en cause par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne au nom de la protection des données personnelles, a été réhabilité par la 6e directive anti-blanchiment, au prix d’une modification des conditions d’accès. La loi n°2024-850 du 25 juillet 2024 prévoit quant à elle de créer indépendamment du registre des représentants d’intérêts, un nouveau registre des activités d’influence étrangères.
Les informations en matière de durabilité publiées dans les rapports annuels des entreprises doivent non seulement atteindre les investisseurs mais aussi les acteurs de la société civile, y compris les organisations non gouvernementales et les partenaires sociaux qui souhaitent que les entreprises rendent mieux compte de leurs incidences sur la population et l’environnement.
Cette transparence est enfin au cœur de la directive du 14 décembre 2022 sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (dite « CSRD »), puisque les informations en matière de durabilité publiées dans les rapports annuels des entreprises doivent non seulement atteindre les investisseurs mais aussi les acteurs de la société civile, y compris les organisations non gouvernementales et les partenaires sociaux qui souhaitent que les entreprises rendent mieux compte de leurs incidences sur la population et l’environnement.
Quant aux lanceurs d’alerte, depuis la loi du 21 mars 2022, ils peuvent s’adresser soit à une autorité interne, soit à une autorité externe, voire même dans certains cas, de rendre leur alerte publique.
La participation à des décisions publiques et privées
Le futur plan national de lutte contre la corruption 2024-2027 a été soumis à une consultation en ligne tandis que le règlement du 31 mai 2023 sur la déforestation rappelle que les opérateurs doivent rendre compte des consultations faites notamment aux « organisations de la société civile qui sont présents dans la zone de production des produits de base en cause », aux fins de l’exercice d’une diligence raisonnée.
La société civile est ainsi appelée à assumer un rôle d’acteur majeur de la responsabilité sociétale des entreprises.
La société civile est ainsi appelée à assumer un rôle d’acteur majeur de la responsabilité sociétale des entreprises, comme en témoigne la directive du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (dite « CS3D ») aux termes de laquelle les « parties prenantes » incluent les « organisations de la société civile dont l’objectif inclut la protection de l’environnement ».
Un rôle en matière de contentieux
La CS3D prévoit que doivent pouvoir déposer plainte, autant les organisations de la société civile agissant au nom de personnes physiques ou morales qui sont touchées ou ont des motifs raisonnables de croire qu’elles pourraient être touchées par une incidence négative, que celles qui sont actives et ont de l’expérience lorsqu’une incidence négative sur l’environnement est en cause. L’appréciation de ces critères sera délicate, et on se rappelle d’ailleurs les nombreux débats ayant eu lieu autour de la notion d’« intérêt à agir », à l’occasion de l’application de la loi vigilance de 2017.
L’appréciation de ces critères sera délicate, et on se rappelle d’ailleurs les nombreux débats ayant eu lieu autour de la notion d’« intérêt à agir », à l’occasion de l’application de la loi vigilance de 2017.
Comme toujours, ce sont des équilibres fragiles à trouver : lutte contre la délinquance et promotion de l’intégrité, mais aussi protection de la vie privée et bonne conduite de la vie économique et des affaires.
A propos des auteurs
Vincent Filhol, Of Counsel, Stephenson Harwood, avocat depuis fin 2023, a débuté sa carrière comme magistrat. Il s’est spécialisé en droit pénal des affaires, et a exercé au sein de la cour d’appel d’Orléans et au parquet national financier (PNF). Il a été chargé de mission pour les affaires civiles et pénales internationales au ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères. A ce titre, il a été le chef de la délégation française auprès du Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO), en suivant aussi les travaux des autres enceintes anticorruption. Il a récemment contribué au lancement de la première stratégie française d’influence par le droit.
Jean-Julien Lemonnier, associé, Stephenson Harwood a fondé le département Concurrence/Antitrust et le département Ethique, Investigations, Défense du bureau de Paris de Stephenson Harwood. Il conseille des entreprises dans le cadre d’enquêtes concernant des pratiques anticoncurrentielles présumées, initiées principalement par l’Autorité française de la concurrence ou par la Commission européenne, de même que dans le cadre de la mise en place de programmes de conformité. En parallèle, il intervient régulièrement sur des dossiers d’investigations internes non seulement en droit de la concurrence mais aussi au-delà, notamment en droit pénal des affaires.
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