Chaînes de valeur sous surveillance : le défi du devoir de vigilance et de la CS3D

BLR n° 43 – 14/10/2024

Photo de couverture : Philippe Portier, avocat associé, Jeantet.

temps de lecture 3 minutes

Le 26 juillet 2026, la France devra avoir transposé la Directive du 13 juin 2024 (CS3D). « Le devoir de vigilance est une révolution juridique« , c’est Dominique Potier, le rapporteur de la loi de 2017 qui l’affirme (source : Décideurs juridiques du 24/09/24). En effet, cette transposition aura des conséquences majeures sur notre devoir de vigilance en élargissant son champ – de 250 entreprises à près de 4.000 -, mais aussi sa substance même.

La CS3D va alourdir la tâche de nos grandes entreprises (1000 salariés et 450M€ de CA à terme), ainsi que leurs risques en cas de défaillance (sanctions administratives d’au moins 5% de leur CA, responsabilité civile, voire pénale, name & shame). Comprendre les exigences méthodologiques du devoir de vigilance est devenu un impératif, qui reste délicat pour les entreprises. La récente jurisprudence La Poste de décembre 2023 illustre cette complexité.

Bien que les sanctions soient encore peu fréquentes, cette obligation va rapidement prendre un caractère urgent. Dans les années, voire les mois à venir, les entreprises devront s’y conformer avec rigueur. Cette urgence sera particulièrement marquée pour les secteurs les plus exposés aux risques envers les droits de l’homme et l’environnement, au premier rang desquelles les industries agro-alimentaires, minières et textiles.

Comprendre les exigences méthodologiques du devoir de vigilance est devenu un impératif, qui reste délicat pour les entreprises. La récente jurisprudence La Poste de décembre 2023 illustre cette complexité.

La cartographie vigilance : un exercice aux contours qui se précisent

Au cœur du dispositif, demeurera l’exigence d’établir une cartographie dont découleront le plan de vigilance et les mesures (préventives ou correctives) qui doivent et devront être prises en conséquence. Le plan de vigilance reposera toujours principalement sur cet exercice décisif. Mais là où le texte français reste vague quant au contenu et à la méthode de réalisation de la cartographie, au grand désarroi des acteurs concernés, comme en témoigne le cas La Poste, la CS3D impose une méthodologie assez précise. Tout d’abord, la cartographie du groupe devra recenser, au sein de ses activités, compte tenu des « facteurs de risque pertinents« , les « domaines généraux dans lesquels les incidences négatives sont les plus susceptibles de se produire et d’être les plus graves » (ex : au regard de facteurs géographiques, contextuels, industriels, sectoriels…).

Elle devra ensuite évaluer, de manière approfondie, les activités effectivement exercées dans les domaines les plus sensibles (en termes de probabilité de survenance et de gravité), puis les hiérarchiser en distinguant les incidences négatives « potentielles » (INP) des « réelles » (INR), pour en permettre le traitement par ordre de priorité. Une incidence négative résultera à cet égard de la violation de l’une des interdictions ou obligations énumérées à l’annexe de la CS3D, qui liste plusieurs textes internationaux relatifs aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales (28 droits et textes listés) ou environnementaux (16 textes). L’appréciation de la gravité de la violation découlera de l’ampleur ou du caractère irrémédiable de l’incidence, compte tenu de sa sévérité (ex : au regard du nombre de personnes affectées, de l’ampleur des dommages environnementaux, leur irréversibilité, etc.).

Mais là où le texte français reste vague quant au contenu et à la méthode de réalisation de la cartographie, au grand désarroi des acteurs concernés, comme en témoigne le cas La Poste, la CS3D impose une méthodologie assez précise.

Des incidences à prévenir, mais aussi à corriger, voire indemniser

L’exercice de cartographie « brute » se conclura par l’identification de l’origine de l’incidence négative (causes et responsabilités), ainsi que la capacité d’influence du groupe sur lesdites causes (ex. levier commercial sur un sous-traitant). Il sera alors possible – et impératif – de définir les mesures préventives des INP et correctives des INR, qui permettront d’évaluer le risque « net » de la cartographie. Ces mesures préventives, une fois définies, pourront être incorporées – en tenant compte de leur potentiel d’effectivité – dans le code de conduite. Ce dernier devra être applicable notamment aux partenaires commerciaux, mais également prendre la forme de clauses contractuelles, d’obligations d’audit, voire de mesures de suspension des relations ou même leur rupture. Les mesures correctives consisteront à tenter de restaurer les situations antérieures aux violations ou à réparer financièrement les préjudices causés.

figure 1
Fig. 1

Un changement de paradigme pour l’économie libérale.

Petit à petit, les contours de l’exercice de cartographie se précisent donc (cf. figure 1) quand l’ampleur des due diligence à conduire s’accroît à proportion de celle des obligations concernées (l’annexe de la CS3D), de la profondeur de la chaine d’activités visée et du champ des exigences méthodologiques, qui peuvent même impacter la stratégie des grandes entreprises.

L’ampleur des due diligence à conduire s’accroît à proportion de celle des obligations concernées.

Une véritable révolution – pour l’instant à bas bruit – en perspective…

Philippe Portier, avocat associé, Jeantet AARPI.

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