« Reporting extra-financier ou durabilité (CSRD) : êtes-vous prêts ? Directeurs juridique et financier, quelle coordination ? » – Les brèves du BLF 2023
BLR n°36 – 25/01/2024
Photo de couverture : Patrick de Cambourg, président, EFRAG Sustainability Reporting Board
Reporting durabilité à « double entrées », une véritable révolution ?Les entreprises doivent identifier les incidences de leurs activités sur la population et le climat et comment les questions de durabilités influent sur l’activité. Nos intervenants nous éclairent.
Patricia SAVIN et Yvon MARTINET, avocats associés, DS AVOCATS : comment apprécier la fiabilité et la qualité d’un contrôle externe d’un rapport de durabilité ? Quelles recommandations aux entreprises ?
L’ordonnance de transposition de la directive CSRD en droit français a été publiée le 6 décembre 2023 et les projets de décret et d’arrêtés complémentaires sont à la consultation. Les entreprises doivent donc préparer leur méthodologie pour l’exercice 2024 qui sera, pour un grand nombre d’entre elles, le premier exercice social soumis au reporting CSRD, ainsi que la connectivité (directe ou indirecte) de l’information durabilité avec les informations financières.
Les entreprises doivent donc préparer leur méthodologie pour l’exercice 2024 qui sera, pour un grand nombre d’entre elles, le premier exercice social soumis au reporting CSRD, ainsi que la connectivité (directe ou indirecte) de l’information durabilité avec les informations financières.
Le guide de l’EFRAG fondé sur 12 ESRS, 82 objectifs de reporting et plus de 1100 datapoint est très complet et structurant. Il donne le cadre de la méthodologie à mettre en œuvre et de l’organisation interne à dédier. Dans une vision holistique de la durabilité, il est difficile de prioriser un sujet environnement, social, gouvernance par rapport à un autre, mais il faudra le faire.
A ce titre, l’EFRAG a approuvé, le 28 novembre 2023, le standard pour les ETI/PME cotées et le standard volontaire pour les 20 millions de PME européennes. La recommandation est donc d’engager les conseils d’administration des entreprises le plus tôt possible dans cette nouvelle démarche, au besoin par une sensibilisation rapide 360°, pour l’établissement d’une feuille de route et de l’organisation de l’entreprise, afin d’adresser convenablement l’évolution/révolution extra-financière créée par l’entrée en vigueur de la CSRD.
Pascal DURAND, député, PARLEMENT EUROPEEN : en quoi cette directive européenne CSRD sert la vocation sociétale de l’entreprise et la souveraineté de l’Union européenne ?
La directive CSRD reflète d’abord la nécessité de tenir compte des changements sociétaux de ces dernières décennies. Les entreprises ont pris conscience du caractère limité des ressources naturelles et, de manière concomitante, du fait que le profit et les risques auxquels elles sont exposées ne peuvent rester les seuls critères d’évaluation de leur performance. Parallèlement, les investisseurs demandent de plus en plus de transparence sur la prise en compte par les entreprises de leurs impacts environnementaux, de sociaux et de gouvernance (ESG).
C’est ce à quoi la CSRD répond : en vertu du principe central de la double matérialité, le rapport de durabilité des quelque 50 000 entreprises désormais concernées devra témoigner non seulement de la manière dont la valeur d’une entreprise est affectée par son environnement, mais aussi de la manière dont elle affecte ce dernier.
En édictant de nouvelles normes de reporting extra-financier standardisées, applicables, en outre, aux plus grosses entreprises hors-Union européenne pour peu qu’elles opèrent sur le marché européen, la CSRD rend celui-ci plus transparent, plus juste, et permet aux investisseurs soucieux des enjeux ESG de se tourner vers les entreprises en accord avec leur vision. Plus largement, la CSRD affirme ainsi la vocation sociétale de l’entreprise et la souveraineté de l’Union européenne à travers l’établissement de ses propres normes de durabilité.
Emilie THIERY, directrice juridique adjointe droit des sociétés & droit boursier, L’OREAL : quelles mise en œuvre au sein de l’entreprise ?
L’objectif du Pacte Vert de la Commission Européenne est d’orienter les flux financiers privés vers les activités économiques durables. Pour y parvenir, le reporting des entreprises constitue la clé de voûte pour permettre une meilleure allocation des capitaux vers les entreprises qui anticipent mieux leur résilience. La CSRD vise ainsi à placer le rapport de durabilité au même niveau d’exigences que l’information financière.
Il s’agit d’abord de recentrer le reporting sur les informations les plus matérielles selon un double prisme : soit, au regard de l’influence des enjeux de durabilité sur les résultats de l’entreprises (la matérialité financière); soit, au regard de l’impact que la société peut générer sur son environnement, et les personnes (la matérialité d’impact). L’analyse de double matérialité devrait donc être la 1ère pierre à l’édifice pour filtrer les enjeux de durabilité les plus importants et déterminer, parmi plus de 1 000 data points, ceux qui doivent être rendus publics. La CSRD visa à apporter une meilleure comparabilité grâce à une standardisation des données.
Il faut donc, pour les entreprises qui publiaient déjà un reporting extra-financier, modifier leurs définitions pour s’aligner avec ces définitions normalisées.
Enfin, il s’agit de travailler à la fiabilité des données qui auront vocation à être vérifiées par un tiers expert, d’abord en assurance modérée puis, à terme, en assurance raisonnable comme pour la certification des comptes.
Patrick de CAMBOURG, président, Autorité des Normes Comptables et président, EFRAG Sustainability Reporting Board : pourriez-vous nous rappeler leurs objectifs ?
Le constat aujourd’hui est sans appel : les données extra-financières produites par les entreprises, quelle que soit leur bonne volonté, ne répondent pas aux critères de qualité que l’on est en droit d’attendre en la matière, notamment en termes de pertinence et de capacité à donner une image fidèle et comparable.
L’Europe a choisi de mettre un terme à cette situation. C’est une décision politique qui l’honore et qui est structurante pour l’avenir : le reporting extra-financier, qu’on nomme aujourd’hui reporting de durabilité, devient désormais une dimension essentielle de l’information normée des entreprises, il va constituer le deuxième pilier du reporting des entreprises, sur un pied d’égalité avec le reporting financier.
Ces deux piliers, qui sont étroitement liés, permettent de mesurer la performance globale de l’entreprise : la performance financière sur les indicateurs que l’on connaît et la performance de durabilité sur des indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance que la comptabilité financière ne peut fournir. En réalité, l’objectif est double.
Le premier objectif est un objectif de transparence. Les entreprises vont désormais éclairer de façon comparable les parties prenantes sur leurs activités en matière d’environnement, de responsabilité sociale et de gouvernance (ESG). Cela permettra aux investisseurs, clients, fournisseurs, employés, régulateurs… d’avoir une vision claire des politiques et des performances de l’entreprise dans ces domaines. La transparence renforce la confiance et la responsabilité.
Le second objectif est un objectif de management. En interne, le reporting de durabilité contribue à une gestion rigoureuse des risques et oppotunités, il permet aux entreprises d’identifier les risques et opportunités liés à la durabilité et de mettre en place des stratégies appropriées, il introduit le long terme et les facteurs immatériels de destruction ou de création de valeur dans la stratégie de l’entreprise et dans sa mise en œuvre.
Pour toutes ces raisons, il s’agit d’une évolution clé, certains allant même jusqu’à parler, qu’ils la souhaitent ou qu’ils la redoutent, d’une véritable “ révolution silencieuse”.
Cette tribune est un extrait de l’une de nos tables rondes. Pour prendre connaissance de l’ensemble des travaux de nos tables rondes, participez à nos rencontres, elles sont particulièrement riches en retours d’expérience tant des entreprises que des autorités et des conseils. TOUT SAVOIR.