Les conditions pour traiter des désaccords ou comment surfer avec le stress

Toutes les trois semaines, une personnalité des sciences humaines est choisie pour donner sa vision de « la part de l’humain » dans la réussite de projets professionnels en lien avec l’actualité économique et juridique.


Cette semaine, Virginie Jubault nous fait part de son interview avec Corinne Brenne, de Terre d’Accord, un lieu de régénération et d’émergence de nouveaux accords avec la vie.

Dans un cabinet d’avocats les désaccords sont nombreux. Peux-tu m’en citer quelques-uns ?

Oui, dans un cabinet d’avocats les sources de désaccords sont nombreuses. On pourrait dire comme
dans toute organisation humaine, mais dans les cabinets d’avocats, beaucoup proviennent d’accords fondateurs de la création de la structure insuffisamment voire pas travaillés ou encore non réajustés
à l’épreuve du temps et des conditions mouvantes de l’environnement. Ce qui génère ce que
j’appelle des conflits d’orientation et de développement du cabinet : désaccords sur la visibilité, sur 
la marque, sur la place donnée au marketing et à la communication, entre ceux qui font et ceux qui
racontent, sur les propositions et la gestion d’offres croisées. C’est également source de désaccords
organisationnels : à qui est le client, comment se répartir le chiffre d’affaires généré entre practices,
qui et quand recruter, licencier, se séparer ? comment développer, fidéliser les jeunes
collaborateurs ?

Mais cela bouge beaucoup en ce moment et nous observons que beaucoup de cabinets refondent leur gouvernance. Avec les équipes et les avocats managing partners que j’accompagne, j’insiste toujours pour que des processus de mise à jour des modes de gouvernance soient intégrés.

Néanmoins, un cabinet d’avocats est souvent plus proche d’une coopérative de production dans
laquelle les associés sont à la fois actionnaires et commerciaux, directeurs de départements et
producteurs du service. La force des personnalités, souvent légitimées par la reconnaissance du
marché attise la difficulté à traiter les désaccords. Ce qui génère des désaccords qui prennent une
forme plus interpersonnelle : conflits de talents entre ceux qui sont bons commercialement et ceux
qui sont experts d’un sujet, conflit entre prendre beaucoup de clients et capacité à faire, conflits
générationnels.

Face à ces désaccords, comment t’y prends tu pour aider à les dénouer ?

Et bien la première question que je pose à mes clients en individuel comme en collectif après les avoir laissé décrire la situation, les interlocuteurs, les enjeux respectifs c’est toujours et maintenant dans quel état êtes-vous ?

Terre d’Accord

Pourquoi poser cette question de l’état interne de tes interlocuteurs ?

Et bien parce c’est d’abord de notre état interne que dépend la qualité de dénouement d’une situation de désaccord. En effet pour traiter une situation de désaccord qui a toutes les chances de générer des conflits cognitifs à l’intérieur de nous, de présenter des facettes inconnues jusqu’alors, revenir et rester à un état de calme intérieur est indispensable. Car c’est le seul qui ouvre les portes vers nos plus grandes ressources à dénouer les situations complexes : l’accès à la prise de recul et de hauteur, la créativité et l’ouverture à l’imprévu, l’acceptation de ce qui dérange, des contradictions apparentes, la capacité de remise en cause des modèles, la prise de risque assumée et l’intuition. Pour éclairer ce que je te dis, je vais faire un détour par le fonctionnement cognitif de notre cerveau, connaissances issues de l’approche neuro-cognitive et comportementale.

Le cerveau humain est une agrégation de plusieurs systèmes hétérogènes qui interagissent en réseaux mais n’ont pas tous les mêmes modes de fonctionnement.

Certaines parties de notre cerveau sont au service des instincts de vie comme boire, manger, et de survie comme échapper à un danger externe menaçant sa vie ou échapper à nos incohérences internes : « comment être en même temps loyal à son client et loyal à ses valeurs ».

Face à ces situations de danger perçu nous enclenchons automatiquement 3  types de réponses : la fuite, le combat et l’inhibition. La fuite nous permet d’échapper à l’agression, le lutte de dominer la situation, et l’inhibition de se faire oublier de l’agresseur. Ces réponses de stress sont très utiles pour faire face au danger réel, mais notre cerveau nous jouant des tours, ces dangers sont parfois tout à fait imaginaires : ce n’est pas parce que nous allons avoir un avis différent des autres qu’ils ne vont plus vouloir travailler avec nous…

Avec nos expériences de vie, nous avons chacun privilégié un type principal de stress et un ou deux modes secondaires qui s’enclenchent lorsque le premier est inefficace. Apprendre à reconnaître et comprendre ces états est un des premiers apprentissages que je fais avec mes clients.

C’est aussi très utile en équipe car savoir diagnostiquer l’état de stress de ses interlocuteurs permet d’éviter des comportements qui vont aggraver la situation et d’adopter les comportements qui vont calmer le jeu, faciliter les possibilités de se comprendre et de chercher une voie nouvelle. Et c’est ainsi une des premières pistes pour sortir par le haut des situations de désaccords, nous reconnaitre dans nos modes de stress et ajuster nos comportements à ces états.

Mais le stress est aussi le signal que nous n’utilisons pas la meilleure partie de nos possibilités cognitives.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur le stress en tant que signal ?

Notre cerveau est économe en énergie et fonctionne soit sur un mode automatique, rapide, fondé sur l’expérience, les connaissances, les représentations partagées soit sur un mode adaptatif tel que nous l’avons décrit plus haut qui favorise l’adaptation, l’innovation, la sérénité, la coopération. Quand ce mode adaptatif n’a pas pu s’enclencher (souvent pour des raisons de conflits cognitifs internes ou comment faire avec des demandes que nous vivons comme antagonistes à l’intérieur de nous : étudier à fond une situation et faire au plus vite, adopter une position consensuelle et assumer ses opinions) sachant qu’il peut être utile pour résoudre cette situation, ce mode nous envoie un signal : le stress. Le stress est donc une opportunité de basculer vers ce mode adaptatif du cerveau qui a des ressources incroyables pour nous aider à sortir des sentiers connus et engager des voies nouvelles.

Le stress est un véritable signal d’alarme adressé à la conscience que nous avons les ressources, si nous les sollicitons, d’aborder la situation autrement. Et comme toute situation de désaccords est en générale complexe et difficile émotionnellement, surfer sur le stress, revenir au calme, s’ouvrir aux incroyables possibilités de son cerveau en mode adaptatif est crucial.

Alors comment fais-tu pour aider tes interlocuteurs à « basculer » en mode de fonctionnement cognitif adaptatif ?

Apprendre à identifier son état interne et évaluer son niveau de stress est un des apprentissages très important en individuel. Car dès lors que vous êtes en proie aux réactions automatiques de votre cerveau, vos capacités de raisonnement, d’écoute, de compréhension de l’autre, de la situation, de ses enjeux, vos trésors de créativité, l’accès à votre intuition, la ressource de faire appel à des ressources externes à la situation pour vous soutenir… toutes ces voies sont obstruées, considérablement rétrécies : c’est alors la porte ouverte aux idées toutes faites, aux généralisations, à la morale culpabilisante, aux certitudes, aux simplifications réductrices, aux besoins de satisfaire à son image sociale….

Une fois son état interne identifié, la plus petite étape est de cultiver l’état de retour au calme par différentes pratiques. L’attention portée à la respiration est une voie royale saluée par toutes les traditions de sagesse. Je cherche avec mes clients la pratique qui leur convient le mieux, la respiration marchée pour les plus toniques, la respiration abdominale, l’allongement des phases de la respiration, la respiration alternée, le suivi de la respiration aussi appelée plus techniquement la cohérence cardiaque (sorte de rééducation de son rythme cardiaque qui va permettre un ressenti de calme, une diminution de la tension artérielle et du pouls pour laquelle il y a de superbes applications permettant de s’entrainer).

Pour revenir à l’état de calme, on peut avoir bien sur recours à l’activité physique et particulièrement celle qui va stimuler la connexion entre les deux hémisphères cérébraux (tous les mouvements qui vont mettre en jeu le croisement des bras, des jambes alternativement), mais d’autres activités sont aussi très efficaces : le rire, l’humour, les « non-sens » cognitif (les sketches de Devos étaient parfaits pour cela) ou bien encore que dirait un fou de la situation ?

Et puis, comme nous sommes des êtres qui venons de la terre, à chaque fois que nous nous reconnectons au vivant, nous déchargeons nos tensions et ressentons immédiatement un sentiment de mieux-être, de plus de calme, de paix intérieure. Bien sûr s’allonger par terre n’est pas facile dans un bureau mais notre cerveau est ainsi fait que regarder des images ou imaginer des images de nature va produire le même effet ressourçant et apaisant.

Pour continuer à favoriser l’état de bascule en équipe, je les invite à décrire la situation avec toutes les dimensions sensorielles ou encore avec ce que j’appelle une vue hélicoptère : si nous étions un client, un sage, un concurrent que dirions-nous de la situation ? Il est aussi toujours très apprenant de se mettre à la place de l’autre ou bien encore d’explorer les avantages et inconvénients de toutes les facettes de la situation. Dans tous les cas, nous allons chercher à remettre de la légèreté dans le regard porté sur la situation, de la distance, du recul, de la curiosité par rapport à ce que l’on peut en apprendre. En fait, nous allons nous entraîner à mettre de la liberté dans le champ des possibles.

As-tu d’autres pratiques ?


Oui, je travaille dans le courant de l’intelligence collective, de la systémique coopérative et des ponts
avec les traditions de sagesse. J’accompagne les équipes à créer des rituels qui permettent jour après
jour de retrouver les conditions qui permettent d’aborder les sujets en surfant avec le stress. Je vous
en cite quelques-uns co-construits avec des clients :

  • avant de démarrer une réunion à enjeux, prendre le temps de revenir à soi quelques minutes
    en silence et préciser intérieurement avant de la partager l’intention que chacun a par
    rapport à la résolution de la situation (avoir raison, résoudre, comprendre, se soutenir ?),
  • se rappeler et partager quelques accords de sagesse comme ceux des Accords Toltèques et
    en particulier celui qui nous enseigne que « nous faisons tous du mieux que nous pouvons »,
  • faire un tour de parole où chacun exprime son ressenti sur l’état dans lequel il est en
    arrivant, ce qui le réjouit, ce qui le préoccupe. C’est un apprentissage que l’on soutient car
    inhabituel dans un monde où il faut avoir des idées mais tellement soulageant. Et surtout
    pendant ce tour de parole, on s’apprend à écouter l’autre en suspendant deux de nos
    automatismes particulièrement polluants : celui du jugement et celui du commentaire.

Corinne Brenne accueille aussi les équipes en Terre d’Accord, lieu d’émergence d’une façon de vivre accordée à l’Intelligence du Vivant, lieu co-créé avec son mari le sculpteur Robert Arnoux en Normandie. Et là, elle guide des temps de rencontre avec tous les éléments de la Nature ainsi qu’avec la communauté d’une soixantaine de sculptures façonnées par les mains de Robert. Cette œuvre qui peuple le parc paysagé de deux hectares nous immerge dans une humanité où chacun est accordé avec lui, les autres et la nature. Ces temps de connexion à l’intelligence du vivant rythment les temps de travail de l’équipe pour son plus grand bénéfice.

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