Même contre Google, on peut gagner !

BLR n° 53 – 9/10/2025

temps de lecture 3 minutes

Quand le courage paie : 2,42 milliards d’euros d’amende dans l’affaire Google Shopping et 2,95 milliards dans l’affaire Google AdTech. 

Nous avons posé quelques questions à deux avocats impliqués dans ces deux affaires emblématiques. Et l’addition pour Google paraît salée avec les dommages et intérêts que peuvent espérer les victimes de ses pratiques illégales. Ces montants seront-ils dissuasifs à long terme ? 

Laurent Godfroid en quelques mots, qui êtes-vous ?  

Ma spécialité est le droit de la concurrence (concentrations, abus de position dominante et cartels) et des aides d’Etat ainsi que le Règlement sur les Subventions étrangères. Mes dossiers principaux ces dernières années sont la fusion d’Eurostar et Thalys, la restructuration de Fret SNCF et les abus de Google Shopping. 

Quand a débuté cette affaire ?  

Laurent Godfroid

Cette affaire a démarré en 2011 par des plaintes dirigées contre Google dont celle de notre client Twenga (premier comparateur de prix français au niveau européen à l’époque) auprès de la Commission européenne ; il a fallu 6 ans à cette institution pour condamner Google, qui mettait toujours en avant ses services de shopping sur sa page internet au détriment de ses concurrents. 

Il a fallu 6 ans à cette institution pour condamner Google, qui mettait toujours en avant ses services de shopping sur sa page internet au détriment de ses concurrents. 

Le Tribunal de l’Union européenne1 (en 2021) puis la Cour de Justice (en 2024) ont confirmé définitivement la décision de la Commission, ce qui a ouvert la voie à des actions en réparation devant les juridictions nationales pour toutes les victimes des pratiques de Google, dont Twenga. Ainsi, une demande de dommages et intérêts très conséquente auprès du Tribunal des activités économiques de Paris a été déposée pour mon client, que je traite avec mon associé Emmanuel Reille.  

Ce qui a ouvert la voie à des actions en réparation devant les juridictions nationales pour toutes les victimes des pratiques de Google, dont Twenga.

Les coulisses de l’affaire : comment décide-t-on de s’attaquer à un géant tel que Google ? 

Les comparateurs de prix, dont Twenga, bien que proposant à l’époque une offre bien plus riche et innovante pour les internautes, se sont vus exclus du jour au lendemain de la page internet de Google à cause de ses pratiques d’auto-préférence. Introduire une plainte auprès de la Commission était donc, pour l’ensemble des comparateurs européens, une question de survie et de principe. 

Les dirigeants ont-ils hésité ? Avez-vous dû les convaincre d’y aller ? Comment avez-vous travaillé avec les autres parties ? 

Les dirigeants ont effectivement hésité, dans un premier temps, compte tenu de la dépendance majeure de leurs services aux résultats de recherches de Google, qui dispose de plus de 90% de parts de marché. La situation étant vite devenue intenable, la décision a été prise de porter plainte à Bruxelles. Les autres comparateurs (anglais, français, allemand, polonais, etc) ont également introduit des plaintes de leur côté, qui se complétaient l’une l’autre et montraient à la Commission tant le côté paneuropéen des abus que l’urgence à agir.  

Les dirigeants ont effectivement hésité, dans un premier temps, compte tenu de la dépendance majeure de leurs services aux résultats de recherches de Google, qui dispose de plus de 90% de parts de marché.

Quelles leçons tirer de cette affaire ? 

La première leçon est que la Commission aurait pu/du faire de ce dossier un cas de mesures conservatoires, afin que l’impact des abus sur le marché soit stoppé rapidement. Au lieu de cela, la durée de la procédure (aggravée par les recours devant le juge communautaire), soit presque 15 ans, a permis à Google de renforcer sa position et l’effet de ses abus, en détruisant à petit feu toute une industrie auparavant performante. 

La Commission aurait pu/du faire de ce dossier un cas de mesures conservatoires, afin que l’impact des abus sur le marché soit stoppé rapidement.

La seconde leçon est que le remède imposé par la Commission n’a, notamment pour cette raison, eu que peu d’impact sur le marché et cela d’autant plus que le remède est selon nous également abusif. Tout cela donne lieu à une réflexion plus globale sur, d’une part, l’importance accordée par les autorités de concurrence au suivi de la mise en œuvre des injonctions imposées aux entreprises condamnées et, d’autre part, l’opportunité d’imposer des règles ex ante à des géants comme Google, afin de tenter de rétablir une concurrence par les mérites. 

L’espoir de nos clients est que le dédommagement pour les abus causés sera à la hauteur du préjudice majeur subi par eux pendant de nombreuses années, les amendes imposées par la Commission, bien qu’élevées en apparence, restant une goutte d’eau dans l’océan de la puissance mondiale de Google. 

L’espoir de nos clients est que le dédommagement pour les abus causés sera à la hauteur du préjudice

Luc-Marie Augagneur, qui êtes-vous ? 

Luc-Marie Augagneur

Je suis associé du cabinet Cornet Vincent Ségurel et Maître de conférences associé à l’Université Jean Moulin (Lyon 3). Mon activité couvre les différents domaines du droit de la concurrence. Nous accompagnons des groupes de presse dans les actions contre Google au titre de son abus de position dominante sur le marché des technologies publicitaires pour la commercialisation de la publicité en ligne.  

La condamnation prononcée le 4 septembre dernier par la Commission européenne (2,95 milliards d’euros) est décisive : elle confirme la condamnation prononcée en France en 2021 par l’Autorité de la concurrence et met en évidence que les faits n’ont pas cessé. Google dispose en effet de 60 jours pour présenter les mesures destinées à mettre fin aux pratiques. 

Quelles leçons tirer de cette affaire ? 

Il est désormais clairement établi que Google manipule le déroulement des enchères de la publicité en ligne en s’octroyant un droit de regard et des privilèges dans leur déroulement. En fournissant les outils technologiques pour les éditeurs, pour les annonceurs ainsi que la principale place de marché de négociation, Google est à la fois l’organisateur des enchères et une partie intéressée.

Google est à la fois l’organisateur des enchères et une partie intéressée

Google a pu évincer d’autres technologies et places de marché concurrentes. Elle a donc empêché que les espaces publicitaires des éditeurs soient vendus en faisant participer tous les enchérisseurs potentiels, ce qui a dévalorisé leur inventaire publicitaire. 

La Commission estime que le conflit d’intérêt dans lequel se trouve Google est tel que le moyen le plus approprié d’y mettre fin consisterait à ce que Google cède une partie de ses activités dans cette chaîne de valeur. C’est également ce que demande le Department of Justice devant la justice américaine. 

Les entreprises européennes peuvent-elles lancer une offensive contre les géants qui ne respectent pas les règles et les valeurs européennes ? 

C’est ce qui est déjà en cours, dans différents pays européens. Le montant total des réclamations dépasse déjà 15 milliards d’euros. La Directive Dommages permet désormais aux victimes de pratiques anticoncurrentielles de bénéficier d’une présomption irréfragable de responsabilité de l’entreprise condamnée, de fonder leur préjudice sur des hypothèses économiques crédibles et une appréciation éventuellement forfaitaire. 

La Directive Dommages permet désormais aux victimes de pratiques anticoncurrentielles de bénéficier d’une présomption irréfragable de responsabilité de l’entreprise condamnée

Leurs craintes de représailles sont-elles réelles et trop risquées ? 

Je ne le pense pas. Google s’exposerait à des sanctions encore plus considérables et ne réagit pas de façon individualisée au regard du nombre de réclamations. En revanche, il faut s’attendre à ce que les stratégies de verrouillage du marché évoluent dans leur forme. 


Et vous, êtes-vous concernés ? C’est le sujet de l’une de nos table ronde du 16 octobre prochain à l’édition 2025 du Business & Legal Forum. Le programme est en ligne et il reste quelques places.  

Créés en 2008, les Business & Legal Forums ont pour ambition d’accompagner les dirigeants des entreprises, les représentants des pouvoirs publics, des ONG et des conseils souhaitant réfléchir, identifier et « benchmarker » leurs pratiques professionnelles pour tendre vers toujours plus d’éthique et de performance.  Avec plus 6 000 participants et 400 tables rondes à son actif, les Business & Legal Forums invitent à explorer le champ des possibles. Tout savoir et participer aux prochaines rencontres

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