De l’édiction à la transposition : la lente concrétisation de l’harmonisation pénale du régime des sanctions prises par l’Union européenne

BLR n° 53 – 9/10/2025

temps de lecture 3 minutes

Dans le contexte de l’agression de la Russie contre l’Ukraine et de disparités fortes entre les législations nationales en matière de sanctions internationales, le 24 avril 2024, le Conseil de l’Union européenne a adopté la directive (UE) 2024/1226 relative à l’incrimination pénale des violations des mesures restrictives de l’Union européenne. 

Cette directive vise principalement trois comportements : l’inexécution d’obligations déclaratives ou d’autorisation, le contournement d’une mesure restrictive et sa violation directe. Le texte s’applique à toute personne physique ou morale, qu’il s’agisse de personnes nommément désignées ou d’acteurs opérant dans un secteur soumis à restrictions. Son apport essentiel réside dans les sanctions minimales qu’elle impose : jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour les personnes physiques, et, pour les personnes morales, des amendes pouvant atteindre 40 millions d’euros ou 5% du chiffre d’affaires mondial.

Cette directive vise principalement trois comportements : l’inexécution d’obligations déclaratives ou d’autorisation, le contournement d’une mesure restrictive et sa violation directe.

Les États membres devaient la transposer avant le 20 mai 2025. Seuls dix-huit ont engagé une démarche dans le délai imparti, parfois incomplète, tandis que d’autres n’ont encore entrepris aucune mesure. La Commission européenne a donc adressé, le 24 juillet 2025, des lettres de mise en demeure aux États défaillants, dont la France. En effet, celle-ci n’a adopté qu’un décret, le 28 mai 2025, pour désigner le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB) comme autorité compétente pour assurer la coordination entre les autorités chargées de la mise en œuvre des sanctions de l’UE (administratives, douanières, etc.) et les autorités répressives nationales. Pour le reste, l’arsenal français demeure encore limité à l’article 459 du Code des douanes. Si la peine d’emprisonnement qui y est prévue pour les personnes physiques (5 ans) est conforme à la directive, les amendes pour les personnes morales (2,5 M€) demeurent très inférieures aux minima européens (40 M€ ou 5 % du CA mondial).

Si la peine d’emprisonnement qui y est prévue pour les personnes physiques (5 ans) est conforme à la directive, les amendes pour les personnes morales (2,5 M€) demeurent très inférieures aux minima européens (40 M€ ou 5 % du CA mondial).

Ces mises en demeure s’inscrivent dans un contexte géopolitique particulièrement sensible où l’effectivité de cette directive est devenue un objectif explicite pour la Commission. Ainsi, à l’expiration du délai de deux mois laissé par la mise en demeure, elle pourra adresser un avis motivé et, en cas de persistance du manquement, saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière pourra, le cas échéant, condamner l’État défaillant au paiement d’une astreinte journalière ou d’une somme forfaitaire. 

Les expériences de transpositions étrangères fournissent des exemples intéressants. Si aux Pays-Bas, aucune réforme n’a été nécessaire car il y existe déjà un cadre législatif spécifique aux sanctions internationales depuis 1977 avec un texte d’application en matière économique déjà conforme à la directive, l’Allemagne, au contraire, a dû engager une réforme substantielle pour pouvoir étendre la responsabilité pénale des personnes morales aux cas de négligence grave, relever les sanctions financières encourues ainsi qu’incriminer de manière autonome la pratique du contournement.

Ces exemples dessinent deux voies possibles pour la France : soit une réforme d’ampleur autour d’une loi-cadre unique en matière de sanctions internationales, soit une adaptation substantielle de son droit pénal actuel.

Ces exemples dessinent deux voies possibles pour la France : soit une réforme d’ampleur autour d’une loi-cadre unique en matière de sanctions internationales, soit une adaptation substantielle de son droit pénal actuel. Dans les deux cas, il s’agira de dépasser, désormais très vite, une approche strictement douanière pour inscrire les violations directes des mesures restrictives de l’Union et leur contournement dans le Code pénal et relever substantiellement les sanctions applicables. Cette mise en demeure de transposer constitue ainsi pour le Législateur français une opportunité de rendre son droit des sanctions internationales plus cohérent, véritablement dissuasif et, ainsi, de garder intacte sa crédibilité diplomatique en la matière.


À propos des auteurs

Eric Russo, associé chez Quinn Emanuel depuis 2021, dirige la pratique Droit pénal des affaires, conformité et contentieux. Reconnu pour sa disponibilité et son expertise technique, il représente entreprises et dirigeants dans des enquêtes en matière de corruption, blanchiment, fraude fiscale, sanctions internationales et cybercriminalité. Avant de rejoindre Quinn Emanuel, il a exercé plus de vingt ans dans la magistrature, notamment comme juge d’instruction et premier vice-procureur au PNF, menant des enquêtes emblématiques et négociant plusieurs CJIP. Il enseigne à Sciences Po et Paris 1. Régulièrement distingué par Legal 500, Décideurs et Best Lawyers.

Emmanuelle Brunelle, Of Counsel chez Quinn Emanuel depuis janvier 2025, est spécialisée en contentieux civil, pénal et commercial, ainsi qu’en éthique et conformité. Elle conseille des clients français et internationaux en lutte contre la corruption, RSE et sanctions économiques. Elle a développé son expertise en contentieux dans un cabinet français puis dans un cabinet international de premier plan pendant plus de onze ans. Emmanuelle intervient régulièrement dans des formations universitaires et est membre du Club des femmes pénalistes, de l’APCA, de l’ACE et de l’association Droit et Procédure. 

A propos de Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan, LLP 

Quinn Emanuel est un cabinet d’avocats d’affaires international composé de plus de 1200 avocats spécialisés en contentieux et en arbitrage. Premier cabinet au monde qui se consacre exclusivement au contentieux des affaires, judiciaire ou arbitral, sa présence et ses ressources à l’international leur permettent d’assurer une représentation efficace et coordonnée devant de nombreuses juridictions françaises et étrangères. Quinn Emanuel a été nommé Cabinet d’avocats international de l’année par The Lawyer et Cabinet d’avocats américain de l’année par Legal Business à trois reprises.

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