RSE et contentieux : l’art délicat de la communication d’entreprise 

BLR n° 53 – 9/10/2025

temps de lecture 3 minutes

Les entreprises naviguent aujourd’hui dans un paradoxe complexe : ne pas communiquer sur leurs engagements RSE les relègue au « clan du mal », mais trop communiquer les expose aux accusations de greenwashing. Cette problématique prend une ampleur inédite avec la multiplication des textes réglementaires et l’évolution du paysage juridique, d’autant que ces batailles se jouent désormais autant au tribunal que dans l’opinion publique. 

Un arsenal juridique en constante évolution 

La notion de RSE demeure méconnue de la moitié des dirigeants de PME, pourtant l’arsenal juridique se densifie. Aux articles sur l’étiquetage et la protection des consommateurs s’ajoutent des dispositifs spécifiques contre les pratiques commerciales douteuses. 

« Alors que les exigences de certification et de justification des engagements RSE se renforcent, un défi majeur se dessine : comment accompagner les PME, voire les ETI, dans cette transition quand seulement la moitié de leurs dirigeants au moins ne connaissent pas clairement la notion de RSE ou d’ESG ? », précise Philippe Portier, avocat associé chez Jeantet. 

Le greenwashing se décline en deux types d’allégations : les messages explicites et les allégations implicites, souvent plus insidieuses. À titre d’illustration, l’utilisation de paysages verdoyants et de slogans évocateurs dans la publicité peut véhiculer un message environnemental implicite sans l’affirmer directement, créant ainsi un décalage potentiel avec la réalité des pratiques. 

« Les directeurs RSE et les grands Corporate se doivent à présent d’être prudents en termes de communication durable pour ne pas se décrédibiliser », souligne Sébastien Mandron, directeur RSE de Worldline, administrateur du C3D. 

Des acteurs multiples, des risques variés

La cible de la communication (grand public ou public spécialisé, notamment) détermine largement le niveau de risque. Les types de risques se diversifient également.

« Plusieurs acteurs se distinguent en matière de plaintes liées au greenwashing. D’abord, les agences d’auto-régulation qui peuvent être saisies très simplement par toute personne, et, au premier rang, les ONG environnementalistes qui ont trouvé un fort intérêt dans ce type de plainte. Ensuite, il faut citer les autorités d’enquête et de poursuites – en France, la DGCCRF par exemple -, dont l’attention peut d’ailleurs parfois être attirée sur un sujet ou une entreprise par des campagnes ou actions judiciaires d’ONG. Enfin, le juge civil ou pénal peut être mobilisé. » explique Rémi Nouailhac, directeur de la division juridique-sociétal chez TotalEnergies. 

Cette évolution transforme radicalement la communication au sujet des contentieux, qui impose désormais de trouver un équilibre délicat entre transparence et prudence juridique. « La communication reste indispensable, y compris dans un contexte d’incertitude » souligne Elisabeth Iung, directrice juridique risques contentieux et assurances chez L’Oréal. 

Maîtriser le récit pour ne pas le subir 

Un prérequis s’impose, selon Sébastien Mandron : « La crédibilité des Corporate en termes de durabilité est cruciale dans les nouvelles relations avec les investisseurs et les clients. » L’enjeu central demeure la maîtrise du narratif. « Il faut maîtriser le récit, c’est indispensable ! Et pour être capable de le maîtriser, il faut anticiper. » insiste Elisabeth Lung. 

Cette nécessité s’explique par l’asymétrie temporelle entre l’accusation et la décision de justice. Comme le relève Gildas Robert, avocat associé chez Advant Altana : « Le résultat judiciaire ne les intéresse pas nécessairement et c’est très cruel pour les entreprises […] au début avec des accusations très dures et s’il y a un non-lieu, cela passe inaperçu. » 

L’approche consistant à communiquer volontairement pour éviter la réglementation s’avère particulièrement risquée. L’émulation concurrentielle pousse vers toujours plus d’engagements, créant un cercle potentiellement vicieux : annoncer des objectifs mobilise les équipes, mais ces objectifs doivent être réalisables sous peine de communication trompeuse. 

« Qu’elle soit interne ou externe, la communication autour des litiges doit être pesée, réfléchie et chaque fois que cela est possible, anticipée. » précise Charlotte Faure-Gaussel, directrice juridique contentieux et arbitrage de Véolia Environnement. 

L’asymétrie d’information est problématique comme le souligne Gildas Robert : « Nous ne maîtrisons pas toujours l’étendue des connaissances des journalistes, ce qui nous expose au risque d’être interrogés sur des sujets pour lesquels nous manquons d’éléments. » 

Vers un cadre juridique structuré

Dans ce contexte, la coordination entre direction juridique, équipes communication et opérationnels devient cruciale. « L’entreprise doit s’organiser pour répondre rapidement aux sollicitations tout en gardant une ligne cohérente sur la durée, et surtout pour analyser les communications et publicités avant qu’elles ne soient diffusées, car la meilleure protection juridique est de communiquer sur ce que l’entreprise fait vraiment. » confirme Luis Quinonero, directeur juridique développement durable & opérations chez L’Oréal. 

Une communication interne appropriée doit être mise en place auprès des salariés et du conseil d’administration complète Jean-Marie Gauvain, directeur général de Normandy New Energy Holding « Cette démarche est cruciale car des tiers pourraient solliciter des employés non informés du contexte, qui pourraient involontairement révéler des informations confidentielles ou inappropriées. »

Heureusement, l’évolution réglementaire apporte aussi des solutions. « Le devoir de vigilance connaît un glissement fondamental : nous sommes passés d’un domaine extrêmement large à du droit positif, très précis. Cette évolution présente un avantage considérable car avoir des règles claires permet d’éviter les accusations à l’emporte-pièce sur le greenwashing », conclut Philippe Portier. 

L’enjeu pour les entreprises consiste désormais à orchestrer cette symphonie complexe où la fausse note peut coûter cher, bien au-delà du seul enjeu judiciaire. La transparence et la cohérence entre communication et actions deviennent les meilleurs garde-fous contre les risques juridiques croissants. 


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