Vigilance renforcée sur les retards de paiement

Les entreprises doivent plus que jamais veiller à l’efficacité de leurs process de règlement de leurs partenaires dans les temps. Faute de quoi, elles s’exposent à des sanctions.

La réglementation des délais de paiement est une réglementation d’ordre public. Un délai supplétif de règlement de trente jours et des délais contractuels maximaux (quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture) sont prévus par l’article L. 441-10 du code de commerce. Des régimes dérogatoires ont été institués, notamment pour certains secteurs et pour les opérations commerciales intéressant les départements d’outre-mer, dans des limites fixées par la loi et des textes réglementaires. Le non-respect de ces règles expose le professionnel à des sanctions administratives sur lesquelles il y aura lieu de revenir, tant le dispositif a été affermi au fil des réformes successives.

Le contexte de crise sanitaire n’est pas une invitation au laisser-aller

Les délais de paiement entre entreprises s’allongent, alors qu’ils auront connu une stabilisation, voire, pour certains secteurs, un léger raccourcissement avant le début de la crise sanitaire, ce qui ressort du rapport annuel de l’Observatoire des délais de paiement pour 2019. Tout porte à croire que la reprise espérée n’aboutira pas à inverser à nouveau la tendance, du moins pas en commencement de cycle. L’administration est-elle susceptible de faire prévaloir temporairement une approche de tolérance, en laissant de côté l’application de la règle tant que l’activité économique n’aura pas redémarré en profondeur ? Nous parions très clairement sur une réponse négative ! C’est que les pouvoirs publics, à l’instar des autorités de concurrence, se méfient et veulent combattre les effets d’aubaine dans lesquels certaines entreprises s’engagent, en tirant prétexte d’un environnement exceptionnel. C’est aussi et surtout qu’un accroissement des retards de règlement pourrait accélérer la sortie du marché de nombreuses petites et moyennes entreprises. Preuve de l’importance renouvelée accordée au sujet, un comité de crise sur les délais de paiement a été institué, dès mars 2020, sous l’égide du ministre de l’économie et des Finances et de la Banque de France. Il se focalise sur le comportement des grandes entreprises et offre un renfort d’informations à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), laquelle participe à l’ensemble de ses réunions. Dans le cadre de son action d’influence, le comité a voulu identifier des entreprises exemplaires, ou solidaires, qui ont mis en place un système accéléré de paiement de leurs fournisseurs.
La dernière liste en date (au 10 juin 2020) faisait état de 16 noms. Aucun groupe d’assurances n’y figurait. Il n’en faudrait pas plus pour que le secteur de l’assurance – parfois vu, bien rapidement, comme une des
poules aux oeufs d’or de l’économie française – fasse partie de ceux visés par les investigations
et contrôles. Des groupes d’assurance ont fait l’objet de vérifications et de poursuites, dans
le passé.

Un enjeu de conformité

La réglementation des délais de paiement est devenue une vraie question de compliance, à la mesure du risque que son non-respect fait peser sur la tête des entreprises. Outre la sanction pécuniaire susceptible d’être prononcée à l’issue d’une période qui aura mobilisé temps et ressources importantes, c’est l’image de l’entreprise qui peut être durablement affectée par la publicité que l’administration aura donnée à la condamnation du mauvais payeur – dispositif du name and shame [« désigner et stigmatiser
», en anglais]. La publication sanctions sur le site de la DGCCRF est une obligation à la charge de l’administration, laquelle peut également l’ordonner sur d’autres supports. L’arme
du communiqué de presse a pu être en outre utilisée par le ministère de l’économie. Or, dès qu’il est question de réputation, la conformité n’est jamais loin. Il faut ajouter à cela le fait que du sens des dernières jurisprudence comme de l’architecture générale du système découle un
transfert du risque lié au non-respect des délais de paiement, en cas de rapprochement d’entreprises,
vers la société absorbante ou l’acquéreur du contrôle, car le principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait a ses limites. L’enjeu de conformité se décline en obligation de vigilance prévalant en
phase d’audit et pour l’établissement des garanties.

Prévenir et interpréter

Il appartient donc aux entreprises de se doter des moyens nécessaires au respect des délais de paiement. Plusieurs systèmes peuvent être imaginés en ce sens. L’institution de référents, à même de coordonner les équipes, centraliser les données, concevoir les process et s’assurer de leur bonne exécution en est un. L’implication des directions de compliance, dont l’existence est obligatoire au sein des groupes bancaires et assurantiels, sert tout autant l’objectif de prévention et d’anticipation. Les programmes de conformité doivent, à notre sens, faire désormais une place au traitement des délais de règlement, sans diluer la question. Pour prévenir au mieux une difficulté, il faut cependant cerner dans son intégralité. Or, de nombreuses questions se posent encore, dont l’enjeu n’est pas anecdotique. La sanction des retards de paiement a-t-elle vocation à s’appliquer aux flux intragroupes ? Ce sujet intéresse au plus haut point le secteur des assurances, dans la logique du fonctionnement des groupes prudentiels. La DGCCRF a déjà eu
l’occasion de se prononcer, dans une note d’information de 2009, en faveur d’une réponse positive mais celle-ci peut paraître contestable au regard du cadre normatif européen, qui constitue le socle de la réglementation. Quel lien de rattachement avec la France l’opération commerciale doit-elle entretenir pour être soumise auxdites règles ? Le sujet des rapports internationaux est complexe et n’a certainement pas été couvert dans sa plénitude, à ce jour, par le juge. Une autre question paraît quelque peu obscurcie par les prises de positions de la DGCCRF, alors qu’elle est lourde d’enjeux pour les entreprises : quel est le plafond exact de la sanction financière ? Est-ce 2 M€ (4 M€, en cas de réitération) ? Ou est-ce une valeur encore plus élevée du fait de la coexistence éventuelle de plusieurs manquements de la part de la même entreprise ? Avec cette dernière interrogation, c’est le principe de prévisibilité juridique qui est sondé. Quoi qu’il en soit, il pourrait s’avérer opportun d’étendre la possibilité de demander une interprétation à l’administration (rescrit) au-delà des seuls cas actuellement visés par les textes, qui ne concernent que les modalités de computation des délais dans les secteurs de l’industrie automobile et de la construction. ●

Frédéric Manin

article également publié dans L’Argus de l’assurance le 5 février 2021. Reproduction avec l’autorisation de l’éditeur. Article disponible (payant) en ligne sur le site de L’argus de l’assurance.

* fonction le jour de leur intervention aux BLFs ou lors du tournage.

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