Stratégie française d’influence par le droit
BLR n°29 – 11/05/2023
Photo de couverture : Vincent Filhol, magistrat, chargé de mission pour les affaires civiles et pénales internationales auprès du directeur des affaires juridiques du MEAE
La France lance sa première stratégie d’influence par le droit.
Le 21 mars 2023, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et le ministère de la Justice ont diffusé la première stratégie française d’influence par le droit. Cette stratégie vise à faire du droit l’une des priorités d’action de notre diplomatie, dans la lignée de la feuille de route de l’influence de la diplomatie française présentée en décembre 2021. Elle s’inscrit également dans le souhait du président de la République, Emmanuel Macron, d’un « réarmement complet de notre diplomatie », à l’occasion des Etats généraux de la diplomatie le 16 mars dernier.
Vincent FILHOL, magistrat, chargé de mission pour les affaires civiles et pénales internationales auprès du directeur des affaires juridiques du MEAE
En quelques mots, quelle est la stratégie mise en place et comment les ministères porteurs entendent suivre son développement ?
Le droit est devenu un vecteur majeur d’influence à l’international, et à ce titre, l’enjeu de l’ « influence par le droit » est pris en compte à travers de multiples initiatives, dont certaines sont directement portées par le MEAE.
En 2020, il a été décidé de formaliser une stratégie commune au MEAE et au ministère de la Justice, en fixant un cap pour les prochaines années. Cette stratégie, publique et pour une durée de cinq ans [1], comporte sept objectifs, qui feront rapidement l’objet d’une déclinaison opérationnelle :
- Renforcer la dimension internationale dans la formation des juristes et professionnels du droit
- Renforcer la présence française dans les organisations internationales et soutenir les organisations à forte portée normative ;
- Renforcer l’attractivité juridique française ;
- Accroître le poids du droit continental dans les normes internationales et régionales ;
- Renforcer la coopération juridique et judiciaire ;
- Diffuser les conceptions juridiques françaises ;
- Incarner et consolider l’équipe France.
Si cette stratégie a été élaborée conjointement par deux ministères porteurs, ces deux derniers ont la volonté commune d’associer le plus grand nombre d’acteurs, publics comme privés, à sa bonne mise en œuvre.
[1] Texte complet accessible sur https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/les-metiers-de-la-diplomatie/depuis-la-france-des-fonctions-fondamentales-pour-la-diplomatie/quelles-sont-les-missions-juridiques-du-ministere/article/strategie-d-influence-par-le-droit?var_mode=calcul.
Vincent FILHOL – Parmi les 7 objectifs, certains sont-ils prioritaires par rapport à d’autres, quelles sont les actions prévues ? Comment les acteurs de l’économie et de la société civile peuvent y être associés ?
A plusieurs reprises, la stratégie rappelle que le secteur juridique est, en tant que tel, un facteur de développement économique. Plusieurs acteurs de l’économie et de la société civile avec lesquels nous travaillons habituellement sont déjà étroitement associés afin de mettre en œuvre la stratégie. Nous sommes actuellement sollicités par d’autres institutions intéressées. D’ailleurs, fédérer nos différentes actions par un travail d’équipe élargie est un de nos objectifs majeurs.
la stratégie rappelle que le secteur juridique est, en tant que tel, un facteur de développement économique.
Très concrètement, quatre objectifs de la stratégie vont donner lieu à des groupes de travail dédiés : (1) attractivité juridique française, diffusion des conceptions juridiques, coopération, et formation. Ils auront pour mission première de (2) finaliser une feuille de route contenant des actions utiles pour la mise en œuvre la stratégie. En outre, ils auront vocation à identifier des événements utiles pour (3) valoriser le droit français et continental, en France comme à l’étranger. Cela permettra de mieux (4) investir certains lieux d’influence, voire d’en bâtir de nouveaux, en cohérence avec nos priorités. En effet, l’enjeu de notre influence par le droit, c’est avant tout la défense de certaines valeurs comme celles des droits de l’Homme ou celles liées à l’Etat de droit.
Martial Houlle, président du Cercle Montesquieu et secrétaire général, PMU, vous êtes la voix d’environ 500 directeurs juridiques exerçant dans des grandes entreprises.
Que pensez-vous de cette stratégie ? Quels sont pour les acteurs économiques les objectifs prioritaires ? Comment les directeurs juridiques peuvent-ils participer à cette stratégie d’influence ?
Le droit est un outil fondamental de souveraineté politique. Face aux défis mondiaux, notamment climatiques, numériques et géopolitiques, il devient un enjeu crucial et déterminant. Placer le droit au cœur d’une stratégie nationale d’influence est un signal fort adressé à la communauté internationale même si elle indique implicitement que l’Europe demeure toujours « un Etat composé de plusieurs provinces » (Montesquieu).
Face aux défis mondiaux, notamment climatiques, numériques et géopolitiques, il (le droit) devient un enjeu crucial et déterminant.
Le droit, face aux chocs des conformités et technologiques auxquels sont confrontées les entreprises, est également un outil fondamental de souveraineté économique que devrait mieux adresser le troisième objectif. Dans l’entreprise, la règle de droit est consubstantielle à la performance commerciale. Les praticiens du droit dans l’entreprise, grands absents de cette stratégie, sont à cet égard – et nul autre qu’eux – en première ligne pour soutenir cet enjeu de souveraineté économique.
Pour nombre de membres des associations des juristes d’entreprises, dont le Cercle Montesquieu, la pratique du droit international est régulière, l’expertise reconnue et constitutive d’un facteur d’influence tout aussi remarquable… et pourtant ignoré ici. Les membres de ces associations seront, pour peu qu’ils soient sollicités, d’excellents promoteurs de cette stratégie d’influence voulue par l’Etat français et enrichiront sans conteste les réflexions et actions de l’Equipe France (7ème objectif).
Émilie Capron, diplômée d’HEC, avocate associée, Lacourte Raquin Tatar
En quelques mots, que vous inspire cette stratégie et comment les avocats d’affaires peuvent-ils la porter ?
Je me réjouis de cette initiative. La promotion du droit français – et plus généralement du droit continental -, travail engagé de longue date par de nombreux acteurs, y gagnera en coordination et en stratégie.
Non pas par chauvinisme, mais parce que le droit français est un droit efficace, qui mérite d’être promu. C’est en effet un droit synthétique : tout est dit en peu de mots. On le voit dans l’énoncé des règles de droit, leur codification, la façon de rendre les décisions de justice ou encore la manière de rédiger les contrats. C’est un droit ingénieux : je songe, pour la matière immobilière que je connais bien, au système de la publicité foncière – spécificité française instituée par Colbert –, reconnu dans de nombreux pays pour la sécurité juridique qu’il confère au droit de propriété, essentielle à la prospérité économique. C’est enfin un droit exportable : j’observe, pour avoir précédemment exercé dans un cabinet français présent à l’international, qu’en matière contractuelle le savoir-faire juridique français s’expatrie très bien, une fois intégrées les règles d’ordre public locales.
C’est un droit ingénieux : je songe, pour la matière immobilière que je connais bien, au système de la publicité foncière – spécificité française instituée par Colbert –, reconnu dans de nombreux pays pour la sécurité juridique qu’il confère au droit de propriété, essentielle à la prospérité économique.
De ce point de vue, la stratégie mise en place gagnerait peut-être à travailler aussi sur ce qui peut affaiblir cette efficacité du droit français de l’intérieur (prolifération législative et réglementaire, instabilité et perte de qualité de la norme qui en découle, surcharge de l’institution judiciaire conduisant au développement des modes amiables de règlement des litiges ne contribuant pas nécessairement à l’élaboration de la norme).
Hervé Ekué, vous êtes managing partner du bureau parisien et membre du comité exécutif mondial du cabinet d’avocats Allen & Overy LLP, l’un des plus grands cabinets anglais.
Les anglo-saxons utilisent depuis longtemps le droit comme outil d’influence. Que pensez-vous de ce plan stratégique ? Selon vous, quelles seraient les actions prioritaires à mettre en œuvre ?
Le droit anglais et le droit américain sont des outils puissants d’influence dans le monde des affaires. Nous connaissons depuis le Brexit une montée en puissance du droit européen et du droit français en particulier. Les entreprises mondiales considèrent de plus en plus l’Union Européenne comme un marché unique stratégiquement important et s’organisent sur cette base. L’Union Européenne donne le ton dans des domaines clés de la législation et de la réglementation. Les entreprises internationales surveillent de près ces développements afin de déterminer comment la réglementation pourrait évoluer. Il est indispensable que la France prenne toute sa part dans ce nouvel ordre international en construction.
Les entreprises mondiales considèrent de plus en plus l’Union Européenne comme un marché unique stratégiquement important et s’organisent sur cette base.
Le plan stratégique est élaboré à un moment clé et répond par son ambition à un besoin à la fois pour la France mais également pour l’Union Européenne. Nous apprécions en particulier l’ambition de renforcer la dimension internationale dans la formation des juristes et professionnels du droit et le souhait de renforcer l’attractivité de la France à travers un renforcement de la France place de droit. Ces deux actions nous semblent prioritaires. Je pense pouvoir dire que les cabinets d’avocats internationaux sont disposés à prendre leur part dans la mise en œuvre de ce plan.