Se préparer à la CS3D – Les brèves du GACS 2024
BLR n°40 – 20/06/2024

Le 24 avril 2024, le Parlement européen a définitivement adopté la directive CS3D sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. L’entrée en vigueur sera progressive entre 2027 et 2029, selon la taille des entreprises. Les États membres ont deux ans pour transposer le texte dans leur législation nationale. Cette directive marque une étape majeure pour responsabiliser les multinationales européennes sur leurs impacts sociaux et environnementaux à l’échelle mondiale.
Nos experts nous apportent un éclairage sur les principaux défis que les entreprises devront affronter avec l’adoption de cette directive, tout en expliquant comment celle-ci peut contribuer à améliorer la gestion des risques au sein des entreprises.
Guillaume PELLEGRIN, avocat associé, BREDIN PRAT
L’adoption définitive de la directive CS3D marque certes la fin d’un processus relativement houleux ; pourtant, ce n’est que le point de départ de nouvelles étapes de transposition, puis d’application par les sociétés concernées, sur la base de précisions et lignes directrices qui restent à venir. Même si nous avons quelques années devant nous, les principaux défis me semblent concerner tout particulièrement les sociétés déjà assujetties au devoir de vigilance français.
Celles-ci vont devoir, dans un délai en réalité très court et sans doute dès à présent, œuvrer à l’évolution d’un dispositif à l’autre dans des conditions difficiles, marquées, d’une part, par la complexité de ce type de démarche (les deux régimes présentant manifestement des différences significatives, notamment en termes de périmètre et d’obligations) et, d’autre part, par les résultats à venir des procédures contentieuses engagées contre certaines d’entre elles sur le fondement de l’actuel devoir de vigilance.
Jean-Marie GAUVAIN, DG, NORMANDY NEW ENERGY HOLDING
et ancien directeur des risques, de la conformité et du contrôle interne, déontologue groupe – GROUPE CASINO
Avant d’évoquer les défis, il importe de faire un constat : celui d’un véritable choc immédiat de règlementations auxquelles les entreprises sont/vont être confrontées d’une part, doublé d’un changement de paradigme d’autre part.
Choc de règlementations car au-delà de la Directive CS3D dont il va être brièvement question ci-après, il faut citer la Directive sur les rapports de développement durable des entreprises et le Règlement sur la déforestation importée pour ne citer que les textes les plus importants, lesquels vont nécessiter, des moyens humains et financiers considérables que nombre d’entreprises paraissent ne pas avoir encore intégrés. Changement de paradigme également, car avec ces réglementations nouvelles, nous passons à une régulation du risque, la RSE devient de la conformité avec des risques de sanctions quasi identiques à celles prévues notamment au titre du Règlement Général sur la Protection des Données ou encore de la concurrence.
Les acteurs économiques doivent être pleinement sensibilisés et prendre les mesures nécessaires pour intégrer ces réglementations dans leurs politiques et leurs systèmes de gestion des risques.
Abordons sommairement les principaux défis auxquels les entreprises vont être confrontées du fait de l’adoption de Directive CS3D.
– D’abord un point positif, les entreprises françaises ne seront plus seules à être assujetties au devoir de vigilance (elles l’étaient avec la Loi du 27 mars 2017), la Directive est applicable aux entreprises européennes atteignant certains seuils. La Loi du 27 mars 2017 va disparaître au profit de la loi de transposition de la Directive, en effet ces deux lois ne pourraient coexister.
– Un reporting significativement plus étendu à la charge des entreprises donc un risque plus grand en raison de la divulgation d’informations stratégiques (cf. cartographie des risques donc des faiblesses des entreprises).
– Les seuils s’abaisseront progressivement afin de s’appliquer à un nombre croissant d’entreprises.
– Les sanctions quasi inexistantes de la Loi du 27 mars 2017 vont céder le pas à des amendes allant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires net mondial sans compter, le cas échéant, l’indemnisation des victimes au titre de la responsabilité des entreprises dans des matières très complexes à appréhender.
– L’adoption et la mise en œuvre d’un plan de transition pour l’atténuation du risque climatique.
– Enfin, la désignation d’une autorité de contrôle dans chacun des états de l’Union Européenne chargée de veiller au respect des obligations édictées, il y a fort à parier que l’on assistera à des disparités quant à la manière dont ces autorités appliqueront les règles et que des phénomènes de forum shopping verront le jour dans les prochaines années.
François JAMBIN, chief compliance officer, devoir de vigilance – EDF.
Inspirée des principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE, la directive CS3D récemment adoptée par l’UE, constitue une étape importante vers la promotion de pratiques commerciales responsables et durables en faisant progresser la protection de l’environnement et les droits humains à travers les actifs, les entreprises et leurs chaînes de valeur dans le monde entier.
Trois grands défis subsistent encore pour passer de la directive à la pratique.
Les entreprises européennes doivent d’abord être assurées du respect des règles du jeu par leurs concurrents.
Bruno Lemaire avait présenté cette directive comme nécessaire afin de créer un level playing field et sortir les entreprises notamment françaises et allemandes soumises à distorsion de concurrence par leur législation nationale. La Chine et les Etats-Unis ont bien tenté d’obtenir une exemption pour les entreprises hors Europe. Mais l’UE a considéré que les impacts des activités sont globaux et qu’une directive efficace doit exiger des entreprises internationales le respect de normes ESG ambitieuses pour accéder au marché européen. Tout comme les Etats-Unis avaient été précurseurs pour élever les normes mondiales en matière de lutte contre la corruption…
Le deuxième défi est la construction d’une démarche collaborative avec les syndicats, la société civile, les initiatives multipartites et les détenteurs de droits comme c’est déjà le cas des réglementations européennes imposant des démarches de vigilance concernant le travail forcé ou les produits issus de la déforestation.a
Le troisième défi consiste à élaborer une procédure documentée et opposable afin de convaincre la future autorité nationale de régulation ainsi que le juge civil compétent en cas de dommage.
Le chemin est encore long et ces défis devront être relevés les uns après les autres pour rendre l’obligation de vigilance européenne pleinement effective ».
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Lydia MEZIANI, directrice juridique pôle risques, compliance et droits humains – NESTLE* France nous expose son point de vue
Le 24 mai 2024, la Directive sur la diligence raisonnable en matière de durabilité d’entreprise (CS3D)a été définitivement adoptée. Elle représente une avancée majeure dans les efforts visant à promouvoir la durabilité et la responsabilité des entreprises.
Le calendrier comme le périmètre sont clairs : d’ici trois à cinq ans, nous serons tous concernés soit directement soit via le ruissellement contractuel.
Certes, certaines dispositions sont encore incertaines d’autres sont même en pratique problématiques mais nos entreprises européennes peuvent faire de ce nouveau cadre celui de leur compétitivité :
– CS3D, un outil stratégique. Ne pas donner du sens à nos actions en faisant de la CS3D une obligation légale, un risque mais bien comme un discours de preuves pour faire la différence face à nos concurrents dans l’intérêt de nos actionnaires, de nos collaborateurs et de nos consommateurs.
– CS3D, un levier de cohésion : parce que l’exercice pour être efficace doit être transversal, CS3D nous invite à travailler ensemble en cassant les silos pour adopter une vision 360 des risques -et des opportunités. Il nous autorise et nous incite fortement à affronter les risques systémiques en unissant nos forces par une stratégie sectorielle.
– CS3D, un enjeu de compétitivité. Il est tentant de céder à la tentation de l’ajout intempestif des clauses RSE dans nos contrats ni à celle de rompre nos contrats avec des petits acteurs pour minimiser les risques mais l’extraterritorialité de la directive va nous permettre de jouer à armes un peu plus égales et donc démontrer une vision européenne des droits humains et environnementaux dans laquelle l’humain est la mesure de toutes choses.
CS3D est une étape importante vers une économie plus durable et responsable. Nos entreprises peuvent faire la différence en se laissant porter par l’esprit de vigilance.
*fonction lors de leur participation au GACS 2024