Rencontre avec Almudena Arpón de Mendívil Aldama

Présidente de l’IBA (International Bar Association)

Photo de couverture : Michel Barnier et Almudena Arpón de Mendívil Aldama, présidente, INTERNATIONAL BAR ASSOCIATION, lors de la cérémonie d’ouverture de l’IBA Paris le 29 octobre 2023

BLR n°34 -16/11/2023


En janvier 2023, Almudena Arpón de Mendívil Aldama, associée du cabinet d’avocats Gómez-Acebo & Pombo à Madrid, devient la nouvelle présidente de l’International Bar Association (IBA) pour deux ans. Elle est la première femme à occuper ce poste en 20 ans et seulement la deuxième en 76 ans d’histoire de l’Association.

Pour la première fois depuis 25 ans, la conférence annuelle de l’International Bar Association (IBA) s’est déroulée à Paris du 29 octobre au 3 novembre dernier. A cette occasion, Almudena Arpón de Mendívil Aldama a accepté de recevoir la BLR pour faire un point sur les ambitions de la profession et ses nouveaux enjeux.

Lors de l’allocution d’ouverture, Zack Kass (ancien responsable de la stratégie de commercialisation chez OpenAI) a déclaré que nous étions « au seuil de la plus grande révolution dans l’histoire » en parlant de l’arrivée dans notre quotidien de l’intelligence artificielle (IA). Quelles réflexions cet enjeu vous inspire ?

A mon sens, nous tous présents lors de cette allocution avons compris qu’il était nécessaire – voire impératif – de réguler cette matière. L’IA est déjà présente, elle fera nécessairement partie de notre avenir. Mais, au-delà de la régulation, il importe que nous posions des principes. Des principes communs auxquels tous puissent contribuer et adhérer. Il est essentiel qu’ils soient transversaux et s’appliquent à tous, quels que soient les métiers, les secteurs d’activité mais, également, la situation géographique.

Si un avocat utilise l’IA, il doit en informer le client, et lui expliquer comment il a supervisé le travail. Le client doit pouvoir distinguer la partie du raisonnement qui relève de l’humain de celle qui relève de l’algorithme.

Un autre élément saillant de son allocution était ce qu’il qualifiait d’« explicabilité ». A savoir, la transparence de l’IA. Aujourd’hui, l’utilisation de Chat GPT impose que l’exploitation des éléments ou des informations par cet outil soit transparente. Il est donc indispensable d’en d’indiquer la source. Ce faisant, la vérification de la véracité de la source et l’appréhension des différents biais cognitifs pourront être envisagés. Si un avocat utilise l’IA, il doit en informer le client, et lui expliquer comment il a supervisé le travail. Le client doit pouvoir distinguer la partie du raisonnement qui relève de l’humain de celle qui relève de l’algorithme. Si la transparence devait ne pas être prégnante dans notre démarche collective, nous arriverions en terrain dangereux.

Comment distingueriez-vous la responsabilité en matière d’IA ?

Je ne parle pas nécessairement des créateurs à l’origine de l’IA, mais bien plutôt de ses utilisateurs. Ceux qui l’utiliseront au sein de leurs activités professionnelles. Il importe qu’ils envisagent avec précision et éthique l’impact que l’IA aura sur leurs affaires. Grâce à un usage vertueux de celle-ci, nous allons pouvoir travailler sur des tâches plus techniques et consacrer moins de temps à celles plus répétitives. Cela bénéficiera non seulement aux entreprises mais également à la société dans son ensemble. C’est en cela qu’il s’agit d’une véritable évolution qui pourra bénéficier à tous.

Certes, mais qu’en est-il de la réaction – parfois épidermique – de rejet de l’IA ?

N’est-ce pas un réflexe humain face aux nouvelles inventions ? Il faut envisager l’IA comme étant un outil servant l’humanité et non pas comme desservant ou remplaçant l’homme. D’où la nécessité absolue de s’assurer et de garantir une démocratisation de l’IA. De s’assurer que ne s’instaure pas de disparité dans l’accès et dans l’usage de l’IA. Cela s’est déjà passé pour le digital. Il y a eu – et il y a encore – une disparité.

Bien évidemment, l’IA fait peur. On ne voit que les risques qu’elle représente. Or, la question n’est pas là. La question est de savoir comment l’IA peut être un moteur de développement impressionnant de nature à améliorer tant de choses. On pense tout de suite à son application dans le secteur médical. Mais, au-delà de cela, l’IA peut également nous permettre de nous consacrer à des questions plus « humaines ». Ainsi, pour les avocats, elle nous permettra de consacrer plus de temps à de la recherche pure, à la pensée, à la réflexion.

Selon vous, comment procéder pour éviter cet écueil ?

Il importe que tous s’emparent de ce sujet. Que les gouvernements mettent les moyens pour permettre aux citoyens de commencer dès aujourd’hui à utiliser l’IA. C’est une des choses que j’ai pleinement comprise lors de l’allocation de Zack Kass et après en avoir parlé avec lui ultérieurement. C’est maintenant qu’il faut commencer à travailler avec l’IA. Pas demain. Sans quoi, nous ne pourrons plus suivre, au risque d’être dépassés par la question. Donc, soit nous freinons – voire reculons – face à cette question, soit nous acceptons simplement qu’il s’agit d’un développement, d’une évolution qui s’impose à nous et qu’il nous faut embrasser pleinement.

Mustapha Souleymane, cofondateur de DeepMind, affirme : « il faut une régulation de l’IA par les acteurs publics« . Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, il faut une régulation. Mais cette régulation doit venir de tous, les autorités comme les l’ensemble des acteurs privés. A Londres, s’est récemment tenue une réunion très importante à laquelle ont assisté beaucoup de nations (y compris la Chine et les Etats Unis). Au niveau européen également, cela a déjà bien commencé. Mais il est essentiel que les acteurs du secteur privé contribuent à ces travaux. Cela est impératif pour appréhender pleinement les problématiques qui peuvent se poser, afin d’y répondre au mieux. Quand les acteurs du secteur public sont seuls à réguler, il peut manquer une part de vision plus concrète des impératifs et des enjeux. C’est un des dangers à éviter. D’où la nécessité que tous travaillent de concert.

Mais il est essentiel que les acteurs du secteur privé contribuent à ces travaux. Cela est impératif pour appréhender pleinement les problématiques qui peuvent se poser, afin d’y répondre au mieux. Quand les acteurs du secteur public sont seuls à réguler, il peut manquer une part de vision plus concrète des impératifs et des enjeux.

Comment voyez-vous le rôle de l’IBA dans ce contexte ?

J’ai annoncé le 31 octobre le lancement l’AI/IBA. Nous pensons, au sein de l’IBA, que nous avons une position unique pour participer activement à ce débat en fédérant l’ensemble de nos membres, pour échanger avec les gouvernements, les institutions nationales et internationale, etc.

Il s’agit des avocats bien évidemment, mais également des juristes d’entreprises, qui participent également à l’IBA et à ses travaux. L’idée de ce projet consiste à envisager l’IA à 360 degrés et de poser des bases qui puissent s’appliquer à des régulations différentes géographiquement. Et je ne parle pas d’une régulation pour dans deux ans. Je parle bien d’une régulation maintenant. Nous en avons besoin dans l’immédiat. Il est vrai que la Commission européenne a déjà un projet, très avancé. Les Etats-Unis ont également un texte.

La seconde étape de notre projet est de réfléchir à l’impact de l’IA sur la profession juridique. Il importe que nous réfléchissions à l’évolution du business model de notre profession pour y intégrer l’IA (que ce soit pour les associés ou les juniors, la facturation, la formation, les recherches, la confidentialité, les conflits d’intérêts, la transparence quant aux sources, etc.).

Une phase de pédagogie/communication devra être orientée non seulement vers les grands cabinets mais également vers les plus petites structures et les avocats exerçant à titre individuel qui n’ont pas forcément les moyens nécessaires pour intégrer cette nouveauté dans leur pratique. Nous envisageons de mettre en place des Webinars, accessibles au plus grand nombre.

Il en sera de même lors de chaque réunion au sein de l’IBA. L’idée est de dédier une à deux heures à cette question, pour que chacun, quelle que soit sa spécialité, soit sensibilisé à la question de l’IA et l’intègre dans sa pratique.

Notre objectif est de présenter un rapport complet lors de la prochaine de l’IBA début septembre 2024 à Mexico. Cela ne nous empêchera pas de communiquer sur l’évolution de nos travaux d’ici là afin de recueillir toutes suggestions qui pourraient s’avérer utiles.

Propos recueillis par Laurent GUIRAUD-LE MARESQUIER, délégué général, BUSINESS & LEGAL FORUMS, avec Florence HENRIET, rédactrice en chef, BUSINESS & LEGAL REVIEW

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