Lutte contre la corruption : la France n’est plus en reste.
par Sandrine Richard
Photo couverture : Sandrine Richard, directrice de l’éthique des affaires et de la diplomatie des affaires, Cristal Group International
BLR n°22 – 10/11/2022
Le droit est un outil de guerre économique et les Etats-Unis sont pionniers en la matière, comme l’ont montré les affaires Alcatel, Technip, Alstom, BNP Paribas, etc.
Si l’extraterritorialité des lois américaines a effectivement des conséquences économiques sur les entreprises françaises et européennes, il n’en reste pas moins que les facteurs économiques et géopolitiques sont également de premier importance.
Le FCPA : un outil puissant de guerre économique
Les États-Unis utilisent l’extraterritorialité de leur droit afin d’assurer la pérennité de leur économie. Leur outil favori en la matière est le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA).

Cette loi fédérale américaine de 1977 (FCPA), dont l’objectif initial est de lutter contre la corruption, s’est vu donner une dimension extraterritoriale. Son entrée en vigueur est conditionnée par un éventail de facteurs, lui assurant une portée très étendue. En l’occurrence, dès lors qu’une entreprise non américaine utilise la monnaie américaine dans son activité, possède des filiales sur le territoire américain, utilise un FAI ou un opérateur téléphonique américain, elle tombe sous l’égide, ipso facto, du droit américain.
Ce maillage législatif, inévitable pour toute multinationale, assure aux États-Unis un levier puissant dans la préservation de leurs intérêts économiques et politiques. On peut ainsi dresser une liste non exhaustive des récentes sanctions prises à l’encontre d’entreprises européennes, comme Alstom, BNP Paribas, Technip, Total, Société Générale, et bien d’autres sociétés dans le même cas.
La grande efficacité de ce texte réside dans sa légitimité apparente. Les objectifs affichés de ces actions législatives sont en effet louables et ces mesures n’en demeurent pas moins des outils puissants au service des intérêts américains.
Ainsi, la difficulté majeure à laquelle sont confrontées la France et l’Europe est d’appréhender la problématique de l’extraterritorialité des lois américaines et notamment leurs sanctions au regard des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, notre allié.
Sandrine Richard
La problématique est donc de savoir comment se positionner face à une Amérique dotée d’un patriotisme économique que l’on peut qualifier de « conquérant » envers les entreprises européennes.
La France riposte
Les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon ont toujours déployé des stratégies extrêmement offensives sur les marchés mondiaux. Seule l’Union européenne refusait de reconnaître le caractère polémologique des relations économiques internationales.
Néanmoins, les choses commencent petit à petit à évoluer en Europe. La Commission multiplie les communications depuis trois ans sur la nécessité de mieux défendre les intérêts économiques de notre continent. Quant à la France, depuis la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Loi Sapin II », notamment son article 17, elle est venue imposer aux sociétés répondant à certains critères de mettre en place un programme de lutte contre la corruption et le trafic d’influence.
En seulement quatre ans, la loi Sapin 2 s’est imposée comme une référence juridique incontournable de la lutte contre la corruption, démontrant ainsi qu’elle était une loi utile et nécessaire.
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De façon générale, cette loi a renforcé la capacité d’action de la France, tant sur le plan national qu’international : le nombre de CJIP traitées, la coopération internationale qui s’est mise en œuvre sur ce sujet, les actions de contrôles menées par l’AFA, l’obligation et la mise en œuvre des plans de prévention pour les entreprises d’une certaine taille, sont des évolutions marquantes qui ont été permises par l’adoption de cette loi.
Il ressort néanmoins des différents échanges qu’un effort de sensibilisation doit être renforcé notamment auprès des PME et auprès des administrations du secteur public. La Loi Sapin II s’avère être aussi insuffisante pour poursuivre les filiales étrangères qui se rendraient coupables de faits de corruption sur le territoire français…d’où notamment la proposition de loi dite « Sapin III » qui devrait bientôt être examinée.
Enfin, la certification par la norme ISO 37001 spécifique à la lutte contre la corruption apparaît être également un outil efficace complémentaire à la loi Sapin II.
Diversité des systèmes juridiques : un atout
Le modèle américain est tout aussi légitime que le français, mais il convient de maintenir la diversité des systèmes et des normes juridiques. L’exemple américain démontre que le droit est certes un outil de guerre économique et géopolitique.
Karl Popper disait que tout ce qui n’a pas de limites est par essence totalitaire.
Les sciences nous l’expliquent bien : s’il n’y a pas de diversité des modèles, le jour où survient une grande catastrophe, c’est alors la disparition d’un ensemble. Constat semblable qui vaut autant pour les sociétés animales que pour les sociétés humaines. D ’où l’intérêt d’avoir des modèles différents qui coexistent.
Sandrine Richard a exercé la profession d’avocat au Barreau de Paris durant plus de 10 ans jusqu’au 1er septembre 2021, avant d’intégrer la société Cristal Group International en qualité de directeur de l’éthique des affaires et de la diplomatie d’affaires. Cristal Group International est une entreprise spécialisée notamment dans l’intelligence économique.
Article initialement publié dans la Lettre interne de Cristal group international et cette version a été adapté à la ligne éditoriale de la Business & Legal Review,