L’humain est au cœur de la justice négociée !

Photo de couverture : Astrid Mignon Colombet, avocate associée, spécialisée en droit pénal des affaires, August Debouzy.

BLR n°27 -09/03/2023

V. Jubault

Quelle est « la part de l’humain » dans la réussite de nos projets professionnels, notamment lors de la résolution de litiges ?

Toutes les trois semaines, nous vous proposons la vision d’une personnalité des affaires, des sciences humaines, d’un avocat… Sous l’œil aguerri de notre coach, Virginie Jubault, (coach certifiée, associée, Avocom).

Cette semaine, Virginie a posé ces questions à Astrid Mignon Colombet, avocate associée du cabinet August Debouzy, spécialisée en droit pénal des affaires. Depuis près de vingt ans, Astrid a contribué à des dossiers de défense pénale complexe (crash du Concorde, naufrage de l’Erika, explosion d’AZF, CJIP transnationale). Elle défend les entreprises et les dirigeants devant les juridictions pénales et les assiste sur des sujets sensibles tels que la gestion de crise, les accords de justice négociée, les enquêtes internes ou les programmes de mise en conformité et de gouvernance. Astrid enseigne le droit pénal économique à Sciences Po Paris, publie régulièrement des articles dans des revues de droit européen et français. Elle est un membre actif de l’International Bar Association (co-présidente du comité pénal de l’IBA (2019-2020) et chargée de liaison au comité d’éthique professionnelle (2023-2024)).


Ta vision de la justice du XXIe siècle est positive. Peux-tu nous parler de cette philosophie qui imprègne notamment le droit pénal d’aujourd’hui et qui te rend porteuse d’espoir ?

L’homme confronté à cette nouvelle justice devient acteur de sa stratégie judiciaire. Dans cette pratique de la justice pénale négociée, liée le plus souvent aux conventions judiciaires d’intérêt public, le rituel judiciaire dont parle Antoine Garapon change radicalement de dimension.

Avocats, procureurs, clients à certains moments, nous sommes tous assis à la même table. La personne mise en cause n’est pas toute seule en bas, le procureur en haut, les juges en face.

Nous échangeons à hauteur d’yeux. Chacun se comprend mieux. Et quand vient le temps de l’audience, l’accord sur les faits, l’amende, la mise en conformité a été trouvé. Les acteurs retrouvent alors leur place dans la salle d’audience et c’est au juge du siège que revient le rôle central de valider ou non cet accord.

C’est très important de bien se comprendre et de prendre le temps de raconter son histoire, en plusieurs fois, le contexte de la survenance des faits et sa vérité avant d’être jugé.

Je pourrais parler d’une nouvelle philosophie de la justice dans laquelle l’idée est moins de gagner coûte que coûte que de convaincre, où il n’y a pas nécessairement un coupable mais où une solution est trouvée pour tourner la page. Cette justice négociée permet un temps d’écoute plus long. Elle inspire la confiance entre tous les protagonistes. Cette nouvelle configuration permet une relation plus libre et moins teintée de préjugés. Il me semble que le respect de la foi du palais entre avocats et magistrats est renforcé. Nous nous rencontrons, nous prenons le temps de tisser une relation, de bien expliquer la position du client, nos arguments juridiques. L’ouverture au dialogue est présente.

Les CJIP sont très liées à l’activité économique et financière (ou l’environnement). Tu évoques cependant une certaine démocratisation de ce mode de justice ?

Cette nouvelle manière de rendre justice n’est pas que philosophique, elle est aussi pragmatique.

Elle est nécessaire et s’avère, lorsque les conditions sont réunies, la seule manière de tourner une page rapidement pour l’entreprise (la CJIP ne matérialisant pas une reconnaissance de culpabilité), et aussi pour la justice. Sa finalité est également d’améliorer la culture de conformité de l’entreprise, de remédier et de réparer les préjudices des victimes identifiées.

Toutes les juridictions seront incitées à recourir à cet instrument. En France et en Europe. Tout le monde peut y trouver un sens. Ce mouvement rejoint à certains égards la « politique de l’amiable » présentée récemment par notre garde des Sceaux dont la vocation est de développer en matière civile le recours à la médiation et à la justice négociée. Et je suis certaine que ce mouvement plus dialogué va aussi innerver la justice pénale traditionnelle.

Tout n’est pas parfait bien sûr. Il reste des chantiers immenses tels que celui du sort de la personne physique, au cœur de la justice pénale négociée.

En l’état de notre système judiciaire, pour les infractions visées, la CJIP n’est ouverte qu’aux personnes morales, tandis que les personnes physiques doivent recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Or le rituel de l’aveu de culpabilité obligatoire et de l’homologation inhérents à la CRPC peut, dans certains cas, apparaître en décalage avec la philosophie de la justice négociée qui s’attache moins à la culpabilité qu’à une forme de réhabilitation pour bonne conduite. Se pose aussi la question délicate de l’exercice effectif des droits de la défense et du respect de la présomption d’innocence des personnes physiques, dirigeants ou cadres, qui sont poursuivies, alors que la personne morale a déjà signé une CJIP.

Quelle est la place pour toi de l’humain au cœur de la justice négociée ?

C’est précisément ce qui me rend optimiste. Cette justice du XXIe siècle place l’humain au cœur du dispositif, c’est cela la révolution de la justice pénale négociée. Le comportement tout entier de la personne physique ou morale compte plus que l’acte lui-même. Nous commettons tous des erreurs. L’accent est ici porté sur la manière dont la personne morale, par exemple, réagit après les faits découverts, coopère avec l’autorité de poursuite, apporte spontanément des preuves et agit de bonne foi.

Le comportement postérieur rentre en ligne de compte dans la détermination de la sanction.

Il vient l’atténuer, restituer la juste dimension du dossier. L’ensemble des protagonistes de la CJIP prend en compte un contexte d’explication. Cette justice intègre des critères de réhabilitation ; une forme de restauration de l’environnement de l’entreprise. Il y a une idée fondamentale au cœur de cette justice : chacun est responsable de son processus avec un temps mieux adapté à l’humain.

Le juge ne joue pas le même rôle que d’habitude. Les faits ne sont pas au centre de l’audience. Ils se discutent en amont, entre la personne morale, son avocat et le procureur. C’est une justice de la rencontre d’intérêts communs autour d’une finalité déterminée : chacun veut aller vite pour traiter un sujet qui deviendrait envahissant, s’il n’est pas réglé rapidement.

Chacun défend ses intérêts, la discussion peut être âpre bien sûr, mais placée dans une finalité constructive qui vise pour le procureur à fixer une sanction dissuasive, et pour la personne morale, à régler son sujet pour le passé et pour l’avenir. 

Quelle sont les qualités humaines que les acteurs qui acceptent la CJIP doivent avoir ?

Ces acteurs ont une grande maturité. Ils ne se déchargent pas du problème pour ne pas le voir, mais au contraire le prennent à bras-le-corps, parfois pour transformer la culture de l’entreprise.

Ils sont dans la conscience et non pas dans le déni. Ils sont animés par le courage d’affronter le sujet pour éviter qu’il ne se reproduise.

Quelle sont les qualités personnelles que tu développes dans le cadre de ton métier ?

J’ai développé l’écoute et une approche holistique des sujets qui prend en compte l’ensemble des contraintes économiques, financières ou géopolitiques de l’entreprise. Dans la mesure où le rituel judiciaire a changé de dimension, je trouve très important de prendre soin de la relation à l’autre.

Prendre contact avec l’une des personnalités :
Rien de plus facile cliquez ici ou devenez AMI, Active Member to Inspire

Retrouvez toutes les rencontres des Business & Legal Forums sur www.blforums.com

Start typing and press Enter to search