Leadership : quelle est l’influence de notre construction identitaire ?
Photo de couverture Julie Gauvain, executive coach, formatrice, conférencière
Toutes les trois semaines, une personnalité des sciences humaines est choisie pour donner sa vision de « la part de l’humain » dans la réussite de projets professionnels en lien avec l’actualité économique et juridique.
Cette semaine, Virginie Jubault nous fait part de la suite de sa dernière interview avec Julie Gauvin, executive coach, formatrice, conférencière et fondatrice – Julie Gauvin Coaching et Formation que vous pouvez retrouver ici : https://mag.blforums.com/le-besoin-de-reconnaissance-moteur-ou-frein-a-la-cohesion-dequipe/
Julie, tu accompagnes notamment les prises de poste. Tes clients professionnels qui se demandent si leurs compétences d’expert seront suffisantes pour assumer les nouvelles responsabilités, se posent des questions sur leur capacité de leadership. Y-a-t-il une définition du leadership ?
Il y a beaucoup de définitions du leadership. La plupart d’entre elles convergent vers l’idée que le leader est quelqu’un qui sait :
- Donner du sens, fixer le cap, créer de la vision, avoir de l’ambition, innover, déployer la traduction opérationnelle de la vision dans l’espace et dans le temps.
- Influencer, c’est-à-dire non seulement parvenir à faire adopter son point de vue par un grand nombre de personnes, mais également avoir l’aptitude à créer une dynamique, à motiver et à mobiliser.
- Rassembler, être exemplaire et savoir créer un contexte où les acteurs ont envie de collaborer et coopérer, ce qui permet le déploiement de l’intelligence collective. Il crée une bonne ambiance dans les équipes. Il valorise, encourage, donne du feed-back, développe les potentiels.
- Communiquer, il adapte sa communication à ses interlocuteurs, gère son émotion et celui de l’autre, il sait faire passer les messages, gérer les conflits.
Si on pense à différents exemples de leaders, à Winston Churchill et à Steve Jobs, par exemple, on constate que les deux savaient donner du sens, fixer le cap, influencer, rassembler et communiquer. Et pourtant, leur leadership était très différent. Y aurait-il éventuellement une composante qui manquerait à la définition du leadership ?
Je pense que oui. Notre leadership est, en grande partie, défini par notre construction identitaire, par le système de croyances que nous avons construit sur soi et les autres et par le fait que nous nous sentons, ou pas, aimés et reconnus.
Peux-tu nous décrire plus en détails les liens que tu tisses entre la construction identitaire et la posture managériale ?
Notre image de soi, notre confiance en soi se construisent en fonction de ce que nous voyons dans les premiers miroirs dans lesquels nous nous regardons : notre famille, nos amis, nos premiers collègues, clients et supérieurs.
Si nous nous sentons mal aimés, si notre place dans le groupe est instable ou ne nous convient pas, si nous avons l’impression d’être transparents à un moment de notre parcours, notre construction identitaire sera influencée par la peur de ne pas être aimés, d’être rejetés. Nous aurons du mal à prendre notre place, à nous positionner, à tenir face à l’adversité.
Cette peur sera accompagnée par celle de commettre une erreur, de ne pas être à la hauteur. Pour ne pas éprouver la peur d’être rejeté, nous allons nous mettre une exigence épuisante d’être toujours à la hauteur, de ne jamais nous tromper. Cela s’appelle une solution fantasmée. Même cette « super » performance ne peut pas nous mettre à l’abri, nous protéger du regard de l’autre et de son éventuel jugement ou rejet, et il est probable qu’en tant que leader, nous risquions d’exiger des autres ce même niveau d’excellence excessive et que nous puissions ne pas comprendre le cadre de référence différent du nôtre, voir le juger à notre tour.
Ces premières expériences vont beaucoup déterminer l’image que l’on aura de soi-même et donc vont inévitablement façonner notre manière de travailler, de manager. Ces personnes auront constamment besoin de se sentir « aimables » et compétentes.
Nos expériences et les conclusions que nous en tirons créent nos croyances et définissent nos comportements adaptatifs, qui, répétés, deviennent nos habitudes comportementales. Ce système d’habitudes va définir notre identité professionnelle et le champ du possible du leader.
Peux-tu nous donner un exemple ?
Prenons un exemple simplifié, un peu caricatural, pour illustrer la mécanique. Imaginez qu’au début de votre carrière, vous aviez un manager qui n’aimait pas qu’on lui pose des questions précises, qu’on le dérange. Quel comportement adaptatif face à ce supérieur pouviez-vous avoir ? Prendre sur vous et vous débrouiller tout seul dans votre coin. Si en changeant d’entreprise et de manager, vous vous retrouviez à peu près dans les mêmes configurations, qu’alliez-vous faire ? La même chose. Etant efficace et répété suffisamment, ce comportement est mémorisé. Avec le temps, Il devient votre automatisme de travail et votre base normative.
Aujourd’hui, devenu un manager à votre tour, il est probable que vous ne serez pas à l’aise en mode collaboratif, rencontrerez des difficultés à échanger simplement l’information, que vous serez dérangé à votre tour, si on vous pose trop de questions. Vous serez un leader ayant comme croyance et valeur : le travail autonome, plutôt en solo.
Cette valeur du travail en circuit fermé n’est ni bonne, ni mauvaise. Le problème réside dans la rigidité du comportement, quel que soit le contexte ou la personne. Une fois que les habitudes de travail sont prises, on ne se pose plus de questions car elles deviennent ancrées. Dans un cas de figure, ce type de fonctionnement peut être un atout essentiel, dans un autre, un frein. L’absence de souplesse entraîne une perte d’efficacité pour le leader et potentiellement un management conflictuel et coûteux en termes d’énergie.
D’où l’intérêt de travailler sur les automatismes comportementaux, le besoin d’identifier les zones du non-choix, des situations qui vous ont marqué, qui sont à l’origine de votre base normative pour déverrouiller, accroître les champs du possible et trouver la posture personnelle du leader qui vous correspond.
Pourrais-tu nous décrire quelques profils de leader en fonction de leur parcours et construction identitaire ?
Prenons par exemple ceux dont la motivation principale suite à leur construction identitaire et parcours, serait la qualité relationnelle, le besoin de se sentir bien dans une équipe. Si j’applique notre grille de compétences : vision, influence, rassemblement, communication, cela donnerait plutôt le profil suivant.
Leur leadership sera très fédérateur, empreint de soucis de justesse, ils essayeront d’être des modèles, exemplaires, chaleureux. Quand ils vont traduire la vision en plan opérationnel, ils vont bien répartir les missions, les taches, donner des repères, des délais tenables, couvrir en cas de besoins ses équipes, ils vont veiller à l’harmonie globale au sens de l’entreprise. Ils vont posséder un grand sens du devoir et du dévouement, du soutien et d’entraide. Ils peuvent avoir un petit côté sauveteur.
Leur communication sera franche et directe, ils sont dans l’empathie et à l’écoute. Ils vont valoriser l’autre, encourager, savoir donner des signes de reconnaissance, partager facilement l’information. Ils auront un grand sens des valeurs et de la transmission.
Et en même temps, ces personnalités peuvent s’épuiser à essayer de faire régner l’équilibre des forces dans les équipes, à toujours chercher à fédérer, à avoir un consensus. Ils peuvent perdre du temps en essayant de mettre toujours tout le monde d’accord. Ayant un sens du sacrifice, ils peuvent être hyper-tolérants, voire laxistes, prendre trop de choses trop longtemps sur eux, allant jusqu’au burn-out. Ils peuvent ne pas oser dire non au bon moment. Pour eux, le moment de blocage se situera lors d’un choix difficile entre privilégier le résultat ou la relation.
Les personnes marquées par un manque de reconnaissance dans leur parcours, l’impossibilité de prendre des décisions qui leurs paraissaient justes, de dire ce qu’elles pensaient vraiment auront comme motivation principale leur pouvoir et leur visibilité personnelle.
Leur leadership sera influencé par la peur d’être contraint et coincé. Ces individus voudront tout contrôler et anticiper, pour ne pas se sentir pris en tenaille, pris au dépourvu. Ils seront plutôt insaisissables et fuyants. Ils pourront préférer prendre plutôt des risques, ignorer le cadre, le plan d’action plutôt que de se sentir contraints. Ils auront besoin de se sentir visibles et puissants.
Tu veux dire, qu’au moment où la personne prend un nouveau poste, sa qualité de leader dépend de la façon dont a été nourri précédemment son besoin de reconnaissance ?
J’aurais tendance à répondre oui. Il y a toujours différents cas de figures, bien évidement. Si le moteur du leader c’est d’être visible et puissant, la relation paritaire est difficile, puisqu’elle lui rappelle sa peur d’être fondu dans le groupe, de devenir transparent. Dans son imaginaire il deviendrait faible, ce qu’il veut à tout prix éviter. Ainsi il va plutôt rester dans la relation dominant/dominé. Ce qui compte pour lui, c’est de ressentir sa puissance personnelle, sa compétence.
Et en même temps il a un grand sens de l’initiative, de l’action, il est rapide et créatif. Il a des idées visionnaires, courageuses. Il veut avancer vite. Il sait embarquer les autres avec lui, dans le monde de ses idées, faire rêver, faire sentir une appartenance à quelque chose de grand, d’important, d’inspirant. Donc, il sait aussi fédérer, mais différemment. Il sait très bien communiquer, influencer.
Le travers de ce type de leader est leur recherche de toute puissance, d’avoir toujours raison. Ce sont eux qui peuvent devenir des gourous, des « dictateurs ». Ils peuvent devenir envahissants voire envahisseurs. Si on va jusqu’à l’extrême, Ils finissent par se déconnecter des autres et s’enfermer dans la solitude du tyran. Dans le contexte actuel, je pense inévitablement à la logique comportementale de Poutine.
En revanche, si, dans le parcours professionnel, le besoin de reconnaissance que nous avons tous a déjà bien été nourri, le leader n’aura pas besoin de se concentrer sur sa propre importance. Ce qui le motivera sera plutôt l’envie de créer une cohésion au niveau de l’équipe ; des conditions pour une collaboration fructueuse. Il n’aura pas peur d’y être fondu. C’est logique. Si la personne a une bonne image d’elle-même, si elle est sûre de sa compétence et si elle est valorisée, elle n’éprouve pas le besoin de montrer en permanence sa compétence et donc d’imposer et de dominer.
Il existe une multitude de combinaisons, chacun a sa composante identitaire. J’ai décrit deux exemples opposés. Le leader idéal serait probablement celui qui saurait réunir le meilleur des deux polarités, tout en évitant les écueils.
Quels que soient notre parcours et les évènements qui nous ont façonnés, il suffit d’en être conscient pour pouvoir évoluer. L’objet de cet échange est de vous inviter à vous interroger sur quelles bases, expériences marquantes, croyances sont construites votre leadership. Y-a-t-il des croyances limitantes ? Faut-il ajuster le curseur pour encore mieux déployer votre potentiel ?
Courte biographie de Julie Gauvin :
Après avoir travaillé à Moscou et à New-York, Julie se forme aux neurosciences appliquées au management et passe la certification Transformance Coach&Team chez V. Lehnardt. Elle fonde son cabinet et depuis dix ans, elle accompagne les équipes et les associés, anime séminaires et conférences.