Interview avec Drago KOS, président du groupe de travail sur la corruption, OCDE

par Virginie GASTINE MENOU, expert en conformité, fondatrice de « Risques et Vous » et coordinatrice scientifique des Business & Legal Forums. Traduit de l’anglais par Dimitri SAMANDOV.


Drago Kos a débuté son mandat en tant que nouveau président du groupe de travail de l’OCDE sur la corruption le 1er janvier 2014. Il succède à Mark Pieth, un éminent avocat suisse qui présidait le groupe depuis 1990. Drago Kos est originaire de Slovénie et était auparavant le président du GRECO.

Drago Kos aborde les recommandations du groupe de travail de l’OCDE sur la lutte contre la corruption et sur le niveau de la coopération internationale, pour en savoir plus sur les évolutions de la lutte contre la corruption avec une vision tripartite des autorités, des entreprises & des conseils. réservez votre place à la prochaine édition du Global Anticorruption & Compliance Summit, GACS, le 8 avril 2022, Paris – voir le programme

En quelques mots, qui êtes-vous ?

Drago KOS : Dans mon pays, la Slovénie, j’ai commencé ma carrière comme enquêteur judiciaire. En 1999, lorsque j’ai quitté la police, j’étais directeur adjoint et chef des opérations de la CID. En 2004, j’ai été le premier président de la nouvelle Commission pour la prévention de la corruption. Sur le plan international, j’ai été président du GRECO entre 2003 et 2011 et j’ai participé à différents titres à des projets dans de nombreux pays (Afghanistan, l’ensemble des Balkans, Moldavie, Ukraine,…).

Concrètement, quel est le rôle du groupe de travail de l’OCDE sur la corruption (WGB) dans la sphère internationale ?

DK : Notre objectif final est d’uniformiser les règles du jeu dans le commerce international pour toutes les entreprises du monde. Nous essayons d’y parvenir par un suivi rigoureux de l’application de la Convention de l’OCDE contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales dans nos 44 États membres.

Je suis moyennement satisfait du niveau de mise en œuvre des recommandations du WGB par nos pays membres.

Drago Kos.

Quels sont les critères d’adhésion au WGB de l’OCDE ?

DK : Il y a essentiellement deux critères : un pays candidat doit être un acteur économiquement important et son adhésion au WGB doit présenter un avantage mutuel pour les deux parties, le pays et le WGB. L’importance économique d’un pays est évaluée par des critères économiques objectifs et le critère du « bénéfice mutuel » par une évaluation de base des cadres anti-corruption existants du candidat.

Le WGB de l’OCDE fournit des études et un suivi efficace des activités anti-corruption des gouvernements. Comment expliquez-vous que les actions concrètes des pays ne soient pas assez évidentes, visibles ou concrètes ?

DK : Je suis moyennement satisfait du niveau de mise en œuvre des recommandations du WGB par nos pays membres. Il y a des pays qui s’engagent beaucoup à mettre en œuvre la majorité – sinon la totalité – de nos recommandations, mais il y a aussi des pays où il apparaît rapidement qu’ils feront tout leur possible pour éviter la mise en œuvre de certaines de nos recommandations. 

Nous appliquons une procédure de suivi stricte, qui est une caractéristique qui a fait connaître le WGB dans le monde de la lutte contre la corruption – à tel point que Transparency International nous appelle « l’étalon-or du suivi ».

Drago Kos

Quel accueil a été réservé au rapport d’évaluation de la France publié en décembre 2021 ?

DK : En période de pandémie, il est très difficile de produire des rapports, surtout dans le cas de pays aussi importants que la France, où beaucoup de choses ont été faites depuis le dernier rapport et où de nombreux nouveaux développements ont été enregistrés littéralement jusqu’au dernier jour avant l’adoption du rapport. Comme pour tout autre rapport, son adoption ne serait pas possible sans l’engagement considérable de la Division de la lutte contre la corruption de l’OCDE, qui fait office de secrétariat, et de deux pays examinateurs principaux, qui, dans le cas de la France, étaient le Canada et la Suisse.

Le rapport d’évaluation de la France a fait l’objet d’un appel à contributions. Que représente la part des contributeurs dans ce rapport ? Qui sont-ils ?

DK : Nos rapports sont toujours basés sur les réponses des pays à un questionnaire personnalisé pour chacun de nos cycles d’évaluation. Les réponses des pays sont ensuite analysées par notre Secrétariat et les pays examinateurs principaux et elles sont comparées à leurs propres conclusions lors des visites sur place, qui – malheureusement – en période de pandémie, sont réalisées en ligne. Il s’ensuit un processus de mise au point précise d’un texte, qui se termine par la satisfaction de l’ensemble du WGB. Au moment de l’adoption finale du rapport, nous appliquons la formule dite « tous moins un », ce qui signifie que nous pouvons adopter un rapport, même si le pays évalué n’en est pas satisfait (mais que tous les autres pays le sont).

La comparaison entre ce qui était en place avant l’adoption de la loi mentionnée (Sapin 2) et ce qui est apparu sur sa base nous a conduits à féliciter la France pour certaines évolutions, y compris dans le domaine des sanctions prévues.

Drago Kos

Le rapport d’évaluation félicite la France pour certaines évolutions, notamment l’augmentation significative du montant des sanctions pénales à l’encontre des personnes physiques ou morales. Cependant, pour le secteur privé, aucune sanction n’a été prononcée depuis la loi Sapin 2 par la Commission nationale des sanctions de l’AFA. Qu’en pensez-vous ?

DK : La comparaison entre ce qui était en place avant l’adoption de la loi mentionnée et ce qui est apparu sur sa base nous a conduits à féliciter la France pour certaines évolutions, y compris dans le domaine des sanctions prévues. Bien sûr, nous resterons vigilants en suivant l’application des sanctions dans la pratique et nous insisterons pour que les nouvelles sanctions soient non seulement prévues mais aussi appliquées dans la pratique.

Le rapport d’évaluation liste 22 recommandations complètes et prévoit d’entendre la France en décembre 2022 sur ses engagements concrets ? L’OCDE a-t-elle les moyens de faire respecter un manquement ?

DK : Comme indiqué ci-dessus, nos procédures de suivi sont considérées comme notre point fort : une fois que nous émettons une recommandation, nous insistons pour qu’elle soit mise en œuvre. Nous disposons de toute une panoplie de mesures pour assurer cette mise en œuvre, mais j’espère vraiment que dans le cas de la France, nous n’aurons pas à utiliser quoi que ce soit de cette panoplie.

La création de l’AFA et le mandat qui lui a été confié constituent la pierre angulaire de l’encouragement des entreprises françaises à adopter des mesures de conformité internes. Cela a permis à la France de regagner en crédibilité et en visibilité dans ses efforts de lutte contre la corruption internationale.

Drago Kos

Concernant le cadre législatif à renforcer, quel est votre avis sur l’évaluation de la loi Sapin 2 et les 50 propositions de MM. R. GAUVAIN et O. MARLEIX ?

DK : Le WGB est préoccupé par les incertitudes entourant l’avenir de l’AFA, notamment dans le cadre d’une fusion potentielle avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Une telle fusion fait craindre que le rôle de l’AFA dans le contrôle de l’adoption par les entreprises de mesures de conformité soit dilué, voire disparaisse. La création de l’AFA et le mandat qui lui a été confié constituent la pierre angulaire de l’encouragement des entreprises françaises à adopter des mesures de conformité internes. Cela a permis à la France de regagner en crédibilité et en visibilité dans ses efforts de lutte contre la corruption internationale. Le travail de l’AFA en matière de prévention et de détection de la corruption transnationale ne doit pas être remis en cause. Par conséquent, le WGB attend de la France qu’elle préserve le rôle, les mandats et les financements actuellement alloués à l’AFA. Pour faire court : s’il y a des changements dans la position de l’AFA, ils ne doivent aller que dans le sens de faire de l’AFA une agence complètement indépendante.

En ce qui concerne le rôle du Parquet national financier, quel est votre avis sur la coopération française et internationale entre les centres de renseignement financier, les institutions, etc. ?

DK : Dans le rapport, nous avons exprimé nos inquiétudes quant au fait que le PNF et ses opérations ont été menacés par les réformes actuelles, qu’elles soient adoptées ou proposées. Par conséquent, nous avons fortement souligné que le rôle du PNF dans les enquêtes, les poursuites et la résolution des cas de corruption transnationale doit impérativement être préservé. Suite aux dernières modifications législatives, nous avons également exigé de la France qu’elle prenne les nouvelles mesures législatives nécessaires pour prolonger la durée des enquêtes préliminaires dans les affaires de corruption transnationale afin de permettre une application rapide et efficace de l’infraction de corruption transnationale. Nous avons émis ces recommandations car le PNF représente l’une des institutions françaises les plus importantes dans la lutte contre la corruption internationale.

Suite aux dernières modifications législatives, nous avons également exigé de la France qu’elle prenne les nouvelles mesures législatives nécessaires pour prolonger la durée des enquêtes préliminaires dans les affaires de corruption transnationale afin de permettre une application rapide et efficace de l’infraction de corruption transnationale. Nous avons émis ces recommandations car le PNF représente l’une des institutions françaises les plus importantes dans la lutte contre la corruption internationale.

Drago Kos

Concernant les moyens suffisants à mettre à disposition dans la chaîne pénale, quelles recommandations donneriez-vous à la France dans le contexte de la crise de la magistrature en désarroi qui a alerté le ministre de la Justice lors d’une pétition générale en novembre 2021 ?

DK : Le WGB a constaté que les enquêteurs, les procureurs, les juges d’instruction et les juges de première instance français ne disposent toujours pas des ressources nécessaires pour traiter les affaires dans un délai raisonnable et avec le degré de spécialisation approprié. Nous avons donc recommandé à la France de veiller à ce que des ressources suffisantes soient allouées aux unités d’enquête spécialisées, au PNF et aux juges d’instruction de première instance, le terme  » ressources  » ne faisant pas seulement référence aux moyens financiers mais aussi au personnel spécialisé et aux experts, à leurs connaissances, leur expérience et leur formation. Comme pour tous les autres pays, nous suivrons attentivement la mise en œuvre de ces recommandations car elles constituent le point de référence le plus simple pour évaluer la volonté réelle des pays d’intensifier leurs efforts de lutte contre la corruption.

Concernant la responsabilité des personnes morales dans la lutte contre la corruption et la clarification de leurs engagements, quels outils supplémentaires seraient utiles et nécessaires en plus de la loi Sapin 2 et de l’Agence           française anticorruption ?

DK : Il y a toujours une marge d’amélioration mais actuellement – en gardant à l’esprit certains développements inquiétants mentionnés ci-dessus – nous serions heureux que la France ne régresse pas dans ses cadres juridiques, institutionnels et pratiques utilisés contre la corruption internationale. Et deux des éléments les plus importants de ces cadres sont la Loi Sapin 2 et l’AFA, que le WGB « défendra » avec tout ce dont nous disposons.

Le WGB a constaté que les enquêteurs, les procureurs, les juges d’instruction et les juges de première instance français ne disposent toujours pas des ressources nécessaires pour traiter les affaires dans un délai raisonnable et avec le degré de spécialisation approprié. Nous avons donc recommandé à la France de veiller à ce que des ressources suffisantes soient allouées aux unités d’enquête spécialisées, au PNF et aux juges d’instruction.

Drago Kos

L’objectif de la loi Sapin 2 était de mettre la législation française au niveau des meilleurs standards européens et internationaux en matière de lutte contre la corruption, et ainsi contribuer à une image positive de la France à l’international ? Pensez-vous que cet objectif a été atteint en comparaison avec les USA qui sont très actifs en matière de répression ?

DK : Comme nous l’avons déjà dit, l’adoption de la loi Sapin 2 a ajouté beaucoup d’éléments positifs à l’image de la France en tant que pays désireux et capable de lutter contre la corruption étrangère avec tous les moyens disponibles. Et nous ne devrions pas nous arrêter à l’image uniquement : objectivement, la France est beaucoup plus équipée pour lutter contre la corruption après l’adoption de cette loi. J’espère seulement que les derniers développements législatifs et les dernières idées ne conduiront pas à une régression dans ce domaine, ce qui provoquerait, bien sûr, une réaction très forte et immédiate du WGB.

J’espère seulement que les derniers développements législatifs et les dernières idées (françaises) ne conduiront pas à une régression dans ce domaine, ce qui provoquerait, bien sûr, une réaction très forte et immédiate du WGB.

Drago Kos

Que pensez-vous de la coopération européenne dans la lutte contre la corruption ?

DK : Il y a des pays qui travaillent ensemble de manière très efficace et sans heurts, mais aussi des pays où il est absolument clair que la lutte contre la corruption n’est pas leur véritable désir – au contraire, ils s’engagent fortement à protéger leurs politiciens et les produits acquis de la corruption. Cette évolution est particulièrement visible dans les pays où les dirigeants sont fortement autoritaires et où, en règle générale, l’ampleur de la corruption augmente considérablement.

des pays où il est absolument clair que la lutte contre la corruption n’est pas leur véritable désir – au contraire, ils s’engagent fortement à protéger leurs politiciens et les produits acquis de la corruption. Cette évolution est particulièrement visible dans les pays où les dirigeants sont fortement autoritaires et où, en règle générale, l’ampleur de la corruption augmente considérablement.

Drago Kos

A l’instar des mécanismes de résolution non judiciaire (CJIP) auxquels sont soumises les personnes morales, que pensez-vous d’une éventuelle convention juridique pour les personnes physiques ?

DK : En novembre 2021, le Conseil de l’OCDE a adopté une version révisée de la Recommandation de 2009 visant à renforcer la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (Recommandation anti-corruption de l’OCDE de 2021 – OCDE). qui – parmi de nombreuses autres questions – traite également des résolutions hors procès pour les personnes morales et physiques. Par conséquent, les normes juridiques internationales relatives aux CJIP pour les personnes physiques existent déjà, mais elles sont toutes nouvelles, bien sûr.

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