Devoir de vigilance : que pensent les ONG de la loi française de 2017 ?
BLR n°33 – 12/10/2023
Photo de couverture : Diane de Saint-Affrique, SKEMA PUBLIKA
Représentant l’aboutissement d’une enquête de six mois réalisée pour SKEMA Publika auprès de plusieurs ONG, cette série d’articles tire les leçons de l’introduction en droit français du devoir de vigilance (loi du 27 mars 2017) et examine les recommandations formulées par les organisations interrogées, à l’heure où se tient le trilogue sur la proposition de directive européenne en la matière (Corporate Sustainability Due Diligence Directive). La BLR vous propose les points clés publiés en introduction de cette enquête. La première phase de l’étude a été l’identification des principales ONG travaillant sur cette question du devoir de vigilance qui ont été interviewées et ont répondu aux quatre questions suivantes :
1. Selon vous la loi de 2017 est-elle adaptée (champs d’application, suivi de l’application, sanctions) et suffisamment efficace ?
2. L’application de la loi doit-elle ne concerner (ce qui est aujourd’hui le cas) que les très grosses sociétés ? Ne serait-il pas souhaitable qu’elle implique toutes les sociétés, quelles que soient leurs tailles (ETI1 – PME-TPE) ?
3. Quelles sont les attentes minimales des ONG vis-à-vis des entreprises pour que ces dernières soient considérées comme « en bonne voie » ?
4. Quelles seraient les actions à mener pour que les sociétés et les ONG puissent travailler ensemble au « bien commun » ?
1. LA LOI DE 2017 EST-ELLE ADAPTEE ET SUFFISAMMENT EFFICACE ?
Sur le caractère adapté et efficace de la loi de 2017, un certain nombre de réflexions convergentes sont apparues de la part des ONG quant à la pertinence du texte de loi de 2017 et de son application. Malgré tout, les recommandations des ONG sont les suivantes :
– Les seuils définis doivent être revus à la baisse, car ils sont trop élevés et excluent des entreprises qui du fait de leurs activités devraient légitimement être visées par la loi.
– Toutes les sociétés quelle que soit leur forme sociale doivent être concernées par la loi vigilance dès lors qu’elles dépassent les seuils afin d’éviter les stratégies de contournement.
– La notion de relation commerciale établie doit être redéfinie de façon plus claire en prenant en compte toute la chaîne de valeur en incluant les fournisseurs indirects.
– La mesure du devoir de vigilance doit évoluer avec une prise en compte, outre la cartographie des risques, d’une cartographie du type d’activité, du risque inhérent aux opérations dépassant ainsi le seul critère de la taille de l’entreprise.
– Les pouvoirs publics doivent mettre en place un organisme ad hoc chargé d’établir, de publier et de mettre à jour annuellement la liste des entreprises soumises au devoir de vigilance, de rendre accessible l’ensemble des plans de vigilance sur une base de données publique, de renforcer les exigences de transparence afin de rendre plus accessibles les données financières et extrafinancières sur les entreprises.
– Un renversement de la charge de la preuve doit être opéré pour une véritable efficacité de la loi.
– Une amende civile dissuasive doit être mise en place.
2. QUEL PERIMETRE D’APPLICATION ?
Force est de constater que sur la question du périmètre d’application de la loi sur le devoir de vigilance de 2017 (qui à l’heure actuelle ne s’applique qu’aux plus grosses entreprises) la vision des ONG interrogées est à géométrie variable. Certaines souhaitent cantonner la loi aux seules multinationales, d’autres l’élargir à l’ensemble des entreprises. Certaines privilégient des critères différenciants liés au nombre de salariés, au chiffre d’affaires ou encore au niveau de risque des opérations. Pour d’autres, les termes de la loi et notamment la notion de « vigilance raisonnable » restent à clarifier.
Cela soulève une question majeure concernant la norme. Le législateur pourrait en effet être tenté, pour répondre aux attentes des associations, de multiplier de façon exponentielle les normes dont l’objet serait de répondre aux préoccupations et aux demandes relatives aux points techniques soulevés par ces dernières dans leur champ d’expertises divers et variés. Un point de vigilance essentiel en la matière est sans doute de résister à cette tentation pour éviter aux sociétés qui n’auront pas les moyens financiers suffisants pour adresser sérieusement ces sujets le risque de sombrer, quand les sociétés qui auront les moyens d’être bien conseillées opèreront des stratégies de contournement efficaces.
3. QUELLES SONT LES ATTENTES MINIMALES DES ONG VIS-A-VIS DES ENTREPRISES ?
Le constat des ONG est le suivant : les entreprises considèrent souvent le plan de vigilance comme un plan de communication plutôt que comme un outil de développement stratégique, qui viserait à cartographier, à prévenir les risques et mettre en place une stratégie adaptée aux enjeux RSE. Les ONG attendent des sociétés qu’elles changent d’attitude et respectent réellement l’obligation de suivi tout au long de la chaîne de valeur ce qui implique notamment :
– la mobilisation de toutes les parties prenantes,
– une diffusion d’information de façon transparente,
– la mise en place d’indicateurs précis,
– une évolution significative de la culture d’entreprise.
4. QUELLES ACTIONS POUR QU’ONG ET ENTREPRISES TRAVAILLENT ENSEMBLE ?
Certaines ONG estiment que leur position de lanceurs d’alerte exclut la possibilité de travailler avec les entreprises pour les aider à atteindre les objectifs de la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance, et ce afin de garantir leur indépendance. Le choix ayant été fait par le gouvernement de ne pas créer d’autorité administrative chargée de fixer et de surveiller le cadre d’application de la loi, le terrain légal semble le seul recours efficace pour faire bouger les lignes. Les ONG estiment qu’il incombe à l’État d’accompagner davantage les entreprises en :
– proposant aux sociétés des formations adaptées,
– facilitant la création d’un certain nombre d’outils communs, à l’image du guide très détaillé produit par l’ONG Sherpa sur la façon dont devrait être interprétée la loi et sur ce que serait un plan de vigilance adéquat ;
– faisant preuve de plus de transparence, par la mise à disposition, dans un endroit unique et facilement accessible, des plans de vigilances des sociétés qui y sont assujetties.
Vous trouverez l'intégralité du rapport en ligne.
A propos de l’auteur
Diane de Saint-Affrique, Docteur en droit de l’Université Paris 2, Panthéon-Assas, est professeur à SKEMA Business School, où elle a notamment créé et dirigé les doubles Master en droit des affaires et droit des contrats d’affaires. Elle intervient également à SKEMA Venture, l’incubateur de SKEMA où elle conseille des startupers sur leur stratégie dans le cadre de leur développement entrepreneurial et juridique. Elle forme des dirigeants à la gouvernance et la RSE. Elle dirige pour le think tank SKEMA PUBLIKA un projet de recherche sur le devoir de vigilance et son impact sur les entreprises. Ses domaines de recherche sont le droit des sociétés, la gouvernance d’entreprise et la RSE. Ses recherches portent également sur la bioéthique, l’IA et l’éthique. Diane de Saint-Affrique est administrateur d’AQUAVERA (organisation à but non lucratif) et de l’AFD&M (Association Française Droit et Management).
A propos de SKEMA PUBLIKA
Ce think tank international indépendant a pour objectif d’anticiper et de penser les transformations sociétales et géopolitiques de demain. Il alimente le débat public et émet des recommandations pour les décideurs nationaux et internationaux. Adossé à SKEMA Business School, le think tank aborde des sujets politiques et sociétaux ayant trait aux politiques publiques. Il les aborde sous l’angle des signes précurseurs, anticipe et formule des recommandations pour « l’après ». Il adopte une approche multidisciplinaire et hybride du traitement de l’information, associant intelligences humaine et numérique.