La protection du lanceur d’alerte et de l’entreprise… DOJ & PNF des nouvelles lignes directrices… Les brèves du GACS 2023

BLR n°33 – 12/10/2023

Photo de couverture : Viviane Joynes, managing director France, EQS GROUP

Nos experts reviennent en quelques mots décrypter quelques points sur les questions clés des sujets abordés au cours des tables rondes de la 8e édition du GACS (Global Anticorruption & Corruption Summit) qui s’est tenu le 6 avril 2023.

« DOJ & PNF, leurs nouvelles lignes directrices : quels impacts sur la gestion des risques de conformité et CJIP ? »
Table ronde du GACS 2023 avec de gauche à droite : A. Douville, J. Simon, M-A. d’Evry, I. Bernard et D. Mondoloni
« Alerte : de la protection du lanceur et de l’entreprise. Comment élaborer un dispositif efficient et juste ? »
Table ronde du GACS 2023 avec de gauche à droite : E. Dupic, V. Gastine Menou, V. Joynes et S. Waserman

De la protection du lanceur et de l’entreprise. Comment élaborer un dispositif efficient et juste ?

Entrée en vigueur le 1er septembre 2022, la loi n° 2022-401 dite Waserman complète la loi Sapin 2 sur la protection des lanceurs d’alerte et renforce le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte. Ainsi le statut du lanceur d’alerte a largement évolué. Les entreprises doivent, donc, aujourd’hui mettre en place des procédures efficaces de traitement des alertes afin de pouvoir concilier l’exigence de protection des salariés et la préservation de l’activité économique. Comment distinguer les alertes fondées et non fondées ? Quels sont les enjeux des procédures à mettre en place ? Les signalements externes changent-ils la donne ? Quel est le rôle du Défenseur des droits ?

Viviane Joynes, managing director France, EQS GROUP
Quelles facilités les outils digitaux apportent-ils dans la mise en place des procédures de traitement des alertes ? Dans quelle mesure ces outils peuvent-ils favoriser l’adhésion au dispositif ? Quels pièges à éviter ?

Les outils digitaux améliorent considérablement l’efficacité de tout programme de lancement d’alerte.

Pour les gestionnaires de cas, une plateforme sécurisée garantit la confidentialité des échanges, permet un dialogue à deux voies avec le lanceur d’alerte (même s’il reste anonyme) et une gestion centralisée des alertes internes. La digitalisation de ce dispositif renforce ainsi l’efficacité du recueil et du traitement des signalements et favorise une collaboration accrue entre les équipes.

L’accès aux tableaux de bord facilite l’analyse des tendances au sein de l’organisation et fournit des informations essentielles pour prendre des mesures correctives et améliorer le programme de conformité global. Avec un dispositif d’alerte sécurisé, facile d’accès et d’utilisation, les lanceurs d’alerte lui font confiance, ce qui les encourage à effectuer un signalement. Les deux principales raisons pour lesquelles les individus hésitent à lancer une alerte sont

– la peur de représailles

– et le sentiment que rien ne sera fait une fois l’alerte lancée.

De toute évidence, la loi Waserman traite de ce dernier point en introduisant des échéances. Quant à la peur de représailles, la mise en place d’un dispositif d’alerte sécurisé garantissant la confidentialité est une étape incontournable pour instaurer la confiance. Cependant, mettre en place un dispositif d’alerte qui inspire confiance ne suffit pas. Une communication proactive tout au long de l’année visant à instaurer la confiance au sein de l’organisation et à sensibiliser les collaborateurs représente également une composante essentielle d’un programme de lancement d’alerte réussi.

Dans quelle mesure la loi du 21 mars 2022 étend le champ des mesures de représailles interdites envers les lanceurs d’alerte ?
Le site Vie Publique (réalisé par la Direction de l’information légale et administrative – DILA, rattachée aux services de la Première ministre) nous éclaire.

Pour faciliter les alertes, la loi renforce les garanties de confidentialité qui entourent un signalement et complète la liste des représailles interdites (intimidation, atteinte à la réputation notamment sur les réseaux sociaux, orientation abusive vers des soins, inscription sur une liste noire…).

L’irresponsabilité des lanceurs d’alerte du fait de leur signalement est étendue.

Le lanceur d’alerte ne pourra être inquiété ni civilement pour les préjudices que son signalement de bonne foi aura causés, ni pénalement pour avoir intercepté et emmené des documents confidentiels liés à son alerte, contenant des informations dont il aura eu accès de façon licite.

Par exemple, un salarié à qui on montre un rapport prouvant qu’une usine déverse du mercure dans une rivière, aurait le droit de le subtiliser pour prouver les faits dont il a eu licitement connaissance. La loi entend également limiter le coût financier, parfois considérable, des procédures que doivent engager les lanceurs d’alerte.

En début de procès, le juge pourra accorder une provision pour frais de justice au lanceur d’alerte qui conteste une mesure de représailles ou une procédure « bâillon » à son encontre (comme une plainte pour diffamation destinée à intimider et réduire au silence le lanceur d’alerte).

Les députés ont prévu que le juge puisse aussi allouer une provision au lanceur d’alerte dont la situation financière s’est gravement dégradée. Les députés ont en outre permis au juge de rendre ces provisions définitives à tout moment, c’est-à-dire même si le lanceur d’alerte perd son procès. L’amende civile encourue en cas de procédure « bâillon » contre un lanceur d’alerte est portée 60 000 euros.

DOJ & PNF, leurs nouvelles lignes directrices : quels impacts sur la gestion des risques de conformité et CJIP ?

Marie-Astrid d’Evry, directrice de la valorisation éditoriale chez LEXIS NEXIS
Le Department of Justice (US) et le Parquet National Financier (PNF) ont récemment publié leurs nouvelles lignes directrices en matière de justice négociée. Ces lignes directrices permettent de mettre l’accent sur les points de vigilance et actions prioritaires à mettre en place notamment grâce aux critères majorant ou minorant le montant de l’amende d’intérêt public.  Quelles sont les attentes des autorités ? Quelles sont les conséquences pour les acteurs ?

Très attendues des praticiens, le Parquet National Financier (PNF) a publié, en janvier dernier, de nouvelles lignes directrices sur la mise en œuvre des Conventions Judiciaires d’Intérêt Public (CJIP). Elles modifient et complètent celles rédigées conjointement avec l’AFA en 2019 avec un double objectif : clarifier la base de négociation avec les magistrats et faciliter le dialogue avec les entreprises.

En pratique, après plus de trois années de pratique des négociations et la conclusion de nombreuses CJIP, deux mots d’ordre apparaissent : « Transparence et prévisibilité » « l’objectif étant d’assurer plus de protection aux entreprises qui s’engagent dans les discussions avec le PNF ».

La publication de ces lignes directrices coïncide avec la publication de directives émises par le DOJ et le SFO, ce qui permet d’aligner les exigences de la France avec celles des US et du UK en matière de lutte contre la corruption.

En introduction, Jérôme Simon, 1er vice-Procureur au PNF, a envoyé un message clair et encourageant aux entreprises et leurs conseils sur l’intérêt d’« avoir des pourparlers informels » et de faire connaitre « le souhait de bénéficier d’une CJIP », précisant qu’au-delà de la « confiance réciproque », le terme « foi du Palais » permettait de réunir une communauté de juristes pour créer un cadre commun d’échanges, précisant qu’une « démarche proactive de l’entreprise » était attendue (e.g. : révélation spontanée de faits, indemnisation des victimes, modification du programme de conformité, ….),

Côté Entreprise, Arnaud Douville du BUREAU VERITAS, a relevé plusieurs impacts et mentionné notamment la nécessaire sensibilisation des équipes dirigeantes ainsi que l’effet accru sur la robustesse des process des enquêtes internes, concluant à la nécessité d’étayer le côté coopératif.

Poursuivant un objectif de prévisibilité, des précisions ont été apportées sur les modalités de calcul de l’amende avec, d’une part, la restitution de l’avantage tiré et, d’autre part, la dimension afflictive à travers 17 facteurs majorants et minorants, consécrations de la pratique (e.g. : coopération active de l’entreprise, insuffisances des programmes de conformité, …).

Concernant plus particulièrement le critère minorant de l’indemnisation des victimes, Inès Bernard, pour ANTICOR, a regretté que le Code de procédure pénale n’accorde aucune place à l’indemnisation des victimes qui sont, de surcroit, dans la pratique, difficilement identifiables. Autre nouveauté saluée par les praticiens : la mise à disposition des avocats de tout ou partie des documents du dossier de la procédure, « véritable avancée pour la Justice » selon Dominique Mondoloni, avocat associé, WILLKIE FARR & GALLAGHER. Reste la question de la sanction pénale, Inès Bernard pour ANTICOR, appelant de ses vœux une responsabilité pénale des personnes physiques.

Enfin, les nouvelles lignes directrices laissent apparaître un renforcement de la souveraineté pénale et économique de la France permis par la CJIP, notamment lorsque la coordination avec des autorités étrangères est nécessaire. Sur ce point, elles confirment ici le principe Non bis in idem et précise à nouveau que la réponse pénale du PNF sera coordonnée avec les autorités de poursuites étrangères.

Cet alignement des lignes directrices avec les lignes directrices DOJ a été également salué par les praticiens, permettant, selon Dominique Mondoloni, à la France de « prendre position au niveau international ».

Arnaud Douville, group deputy general counsel, compliance, risks & audit, BUREAU VERITAS
Les NLD précisent qu’une coopération « de bonne foi » de l’entreprise est requise pour pouvoir bénéficier d’une CJIP. Selon vous, cela va-t-il entraîner des conséquences sur les process en termes de programme de conformité (programme, formations, …) ? Et le cas échéant, quelles implications sur la gouvernance ?

Les nouvelles lignes directrices (NLD) du Parquet National Financier (PNF) ont eu principalement pour objectif de clarifier et d’améliorer la prévisibilité de la mise en œuvre d’un cadre de justice négociée par ses procureurs.

Les entreprises ont pu en tirer plusieurs enseignements afin de valoriser les dispositifs composant leurs programmes de prévention et de détection de faits susceptibles de revêtir une qualification pénale en matière de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale et de blanchiment de ces délits ainsi que toutes infractions connexes, dispositifs que soit la législation, soit leurs grands donneurs d’ordres leurs ont intimé de mettre en place.

Ces enseignements se situent à deux niveaux : au stade de l’approche et de l’éventuelle entrée en négociation (1) et au stade de la formulation d’une proposition de CJIP par le PNF (2).

1. Au stade de l’approche et de l’éventuelle entrée en négociation

Alors qu’il appartient au PNF de proposer une CJIP à la personne morale mise en cause dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire pour les infractions mentionnées ci-dessus, la première approche peut être menée à l’initiative de l’entreprise et ses conseils dans le cadre de pourparlers informels. L’appréciation de la sincérité de la démarche de l’entreprise par le PNF au travers de l’existence d’éléments matérialisant sa bonne foi tient ici une place prépondérante. Ainsi, pour permettre à l’entreprise et ses conseils de maximiser les chances d’une entrée en négociation, il est notamment attendu de l’entreprise :

– Qu’elle vienne révéler spontanément, dans un délai raisonnable, des faits dont le parquet n’avait pas connaissance au préalable. Ceci n’est envisageable que si les mécanismes de détection mais aussi de remontée des alertes sont efficaces dans l’entreprise.

– Qu’elle « ait activement participé ou souhaité participer à la manifestation de la vérité au moyen d’une enquête interne« . Cette dernière doit pouvoir être compatible avec une révélation spontanée des faits constatés dans un « délai raisonnable« . Dans l’idéal, l’ensemble des éléments de cette dernière devront être communiqués tel le rapport d’enquête ou son contenu détaillé, les actes d’enquête interne réalisés au cours de la procédure judiciaire, etc.

Une certaine rigueur devra transparaitre dans l’enquête interne menée par l’entreprise, notamment, dans le processus de collecte de ces éléments de preuve. La conservation rigoureuse des preuves procède de la même logique. Une pratique d’un « litigation hold » à la française pourrait être amenée à se développer afin de démontrer ce souci de préservation. Développer et former ses équipes sur une procédure de conduite des enquêtes internes deviennent plus que recommandable. A ce titre, le guide pratique coécrit par l’AFA et le PNF sur les enquêtes internes anticorruption apporte un éclairage supplémentaire sur les attentes en la matière.

– La « mise en œuvre spontanée d’un programme de conformité » si elle ne tombait pas déjà dans le champ de l’article 17 de la loi Sapin 2 ou l’adaptation du programme au nouveau schéma révélé par l’enquête, ainsi que la mise en œuvre rapide de mesure de remédiation et sanction.

2. Au stade de la formulation d’une CJIP par le PNF

Au-delà des avantages qu’emporte une CJIP (tel l’absence de déclaration de culpabilité, l’extinction de l’action publique, un traitement accéléré permettant de passer à une actualité interne ou médiatique plus positive, etc.), l’entreprise et ses conseils peuvent maximiser leurs chances d’obtenir une minoration du montant de l’amende d’intérêt public (AIP) en cherchant à optimiser son programme de conformité sur certains points :

– La construction d’indicateurs visant à piloter et démontrer le niveau de performance de son programme de détection, notamment sur l’efficacité de son système d’alerte interne par l’apport d’éléments factuels (abattement jusqu’à 10 % de l’AIP) ;

– Un cadre contribuant à la conduction d’enquêtes internes pertinentes tout d’abord, permettant la reconnaissance non-équivoque de certains faits qu’on a pu établir avec certitude ensuite, et enfin la prise de mesures correctives diligentes à la suite des constatations (chacun de ces facteurs entrainant un abattement maximum de 20 %) ;

– Mais là encore ce sera la révélation spontanée des faits qui permettra d’obtenir un effet maximal (jusqu’à 50%) et par conséquent sa capacité de collecte et de traitement des signalements mais également de détection au travers de ses contrôles et ses audits.

Quant à la coopération active, il est difficile de la décréter. Elle sera évaluée au cas par cas, l’abattement de 30% à la clé étant un facteur très motivant. L’entreprise cherchera aussi à éviter les possibles contre-sens issus d’une interprétation hors contexte des éléments fournis au parquet.

Une entreprise de grande taille devra être particulièrement vigilante à corriger de manière plus diligente encore toutes les insuffisances de son programme de conformité. Un historique judiciaire, fiscal ou régulatoire jouera contre elle dans le calcul de l’AIP. Il en va évidemment de même pour toute tentative de dissimulation. Chacun de ces facteurs pourrait entraîner une augmentation de 20 % de l’AIP.

L’entreprise sera ainsi amenée à revoir régulièrement ses procédures pour s’assurer de leur efficience opérationnelle, à communiquer et à accompagner leur déploiement par des formations destinées aux équipes devant les connaitre et les appliquer et – enfin – mettre en place des points de contrôle et de mesure de l’efficacité et de la performance de ces dernières.


Cette tribune est un extrait de l’une de nos tables rondes. Pour prendre connaissance de l’ensemble des travaux de nos tables rondes, participez à nos rencontres, elles sont particulièrement riches en retours d’expérience tant des entreprises que des autorités et des conseils. TOUT SAVOIR.


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